La palette de couleurs
Le choix des peintures est affaire de technique, mais aussi de mode.
Bill Horan, qui peint ses figurines à l'humbrol, prétend que peu importe la peinture, l'essentiel étant de bien savoir l'effet que l'on veut réaliser. La gouache, héritière luxueuse de l'ancienne détrempe, est totalement oubliée alors qu'elle permet une finition parfaite et très mate ... Il est possible de peindre des plats à l'acrylique, sur base de ce qui ressemble fort à une grisaille. Sous les pinceaux de l'exceptionnel Greg Di Franco, cela donne des réalisations époustouflantes. Pour ma part, j'ai choisi l'huile, qui permet des fondus impeccables, des finitions mates (mais pas ternes), des teintes à la finition parfaite et, accessoirement des couleurs qui passeront les années (les siècles ?).
Nous faisons une consommation suffisamment faible de nos peintures pour pouvoir nous permettre la qualité. Ce sera donc de l'huile extra-fine, la meilleure possible, pas trop grasse. Vous ne serez pas surpris si je recommande la Winsor et Newton. Ceci étant, certaines teintes sont tout à fait intéressantes chez Rembrandt (presque toute les teintes, hormis les verts, trop transparents pour le plat) ou Lefranc Bourgeois (le burnt sienna par exemple, mais aussi et surtout les ocres, dont l'irremplaçable ocre d'or qui est même meilleur quand celui de marques plus honéreuses).
Les Old Holland sont également à recommander pour l'extrême qualité de leurs pigments. Pourtant, je manipule avec précaution leur blanc de titane, certes très couvrant, mais également assez pâteux ; de même, leur noir d'ivoire est profond et très mat, mais présente une texture peu agréable à l'emploi.
Certaines teintes Sennelier sont également intéressantes, mais attention, pas toutes : certaines sont à la fois très transparentes et sèchent brillantes ; à fuir. Nous conserverons notamment le superbe bleu gris, très doux à l'usage et séchant avec une teinte nette et parfaitement mate.
De façon générale, évitez les huiles composées d’huile de lin ou d’oeuillette : ce sont d’excellents produits, mais qui sèchent très lentement et en restant brillants. Ce sont des huiles pour tableaux ; elles ne conviennent pas à nos travaux.
Au total, la palette de base comporte quelques 25 teintes. Au-delà, on peut toujours trouver des variantes de teintes intéressantes, mais il n'est pas nécessaire d'en abuser.
- Les teintes principales
- le blanc de titane suffit à la palette : il est juste transparent comme il faut. Un beau blanc se réussit surtout dans le lissé de la surface et dans le choix de la teinte retenue pour l’ombrer (raw umber pour une omble neutre tirant sur un gris-beige ; attention au gris de payne, très délicat, mais ombrant bleu ; le ton neutre est possible mais ombre fortement et avec des reflets mauves (à réserver pour des ombres de vêtements propres) ; les gris chaud et froid de Old Holland sont également très intéressants ;
- le noir (blue black ou ivory black) est surtout utilisé pour les yeux et pour marquer les ombres les plus puissantes ; il est très puissant et du coup impossible à gommer ou recouvrir en cas d'erreur et doit donc être utilisé avec parcimonie ; il constitue une ombre radicale : longtemps proscrit en figurine où on lui préfère une ombre colorée fabriquée à base des couleurs complémentaires, il peut, en plats d’étain, amorcer une ligne très sombre favorisant l’effet de trompe-l’œil ; je l’utilise de plus en plus dans cette fonction ;
- le raw umber constitue la couleur de base pour ombrer (en mélange comme en glacis transparent) et casser presque toutes les teintes et notamment le blanc pour constituer une première version de gris chaud ;
- le ton neutre de Old Holland constitue la principale alternative pour un gris plus froid (sans le bleuté un peu irréaliste obtenu avec le gris de payne) ;
- en l’absence du brown madder alizarine, qui a malheureusement disparu des rayons, le burnt umber est une alternative, moins matte, moins couvrante néanmoins ; il existe toute une gamme de bruns plus ou moins rouges ou sombres, qui sont toujours utiles ; une mention pour le light red, brun rouge plutôt clair, très couvrant et utile pour les cuirs ;
- le jaune de Naples permet d'accentuer les zones claires ; transparent, il n’occulte pas les teintes sous-jacentes et permet d’y ajouter une douce lumière ; attention à ne pas le surajouter en trop forte épaisseur en espérant accentuer l’effet : il finirait par rester brillant au séchage ;
- le jaune de Naples profond (deep) en est le complément plus soutenu et beaucoup plus opaque ; à eux deux, ils font des miracles pour accentuer la lumière ;
- quelques ochres sont indispensables : yellow ochre pale notamment, et du gold ochre nécessaire pour les ors ;
- le jaune de mars est un ocre puissant qui peut venir compléter les mélanges nécessaires à la teinte "chair" en les soutenant plus que le yellow ocre pale ;
- le seul vert de ma palette est le vert olive ; naturellement désaturé, il permet toutes les variations avec de l'ocre, du jaune, du blanc ;
- le bleu de prusse, facile à dé-saturer et qui évite naturellement les aspects "mickey", sera le bleau de base de beaucoup de réalisation ;
- j'y ajoute néanmoins une gamme assez complète de bleus ; une mention pour le bleu gris (n°301) de Sennelier déjà cité, magnifique, facile à employer et séchant dans un très joli mat ;
- une mention pour l'indigo, teinte extrêmement puissante, pouvant dans certains cas se substituer au noir ; il ombrera avantageusement les rouges foncés ;
- depuis la disparition du jaune d'Aurore, dont je surveille attentivement mes derniers tubes, il est difficile de trouver une vraie alternative qui ne tire pas sur le vert ; on fera au mieux, sachant qu’il convient de toute façon souvent de dé-saturer la couleur d’origine ;
- les rouges foncés (alizarine crimsom par exemple) sont tous soit transparents soit laqués, soit les deux … On travaillera toujours par mélanges avec les complémentaires (l'indigo notamment) pour obtenir des rouges foncés profonds ;
- attention aux pigments rouges de qualité (cadmium reed deep): on les achète pour leur opacité, mais elle peut rapidement devenir tellement puissante qu'elle absorbe tout le reste. Les orange sont souvent préférables du coup (cadmium orange), plutôt que d'espérer éclaircir le rouge de base. Le rouge baroque de Old Holland est très beau, mais également transparent ; à utiliser en base en le préservant ensuite, ou en finition sur une base plus claire.
- Les mélanges
Un mot concernant le mélange des couleurs. On entend parfois cette mystérieuse injonction : « il faut toujours mélanger trois couleurs » … Il paraît que cela dé-sature les couleurs (ce qui est assez imparable en effet si on mélange des complémentaires) et que le mélange est plus mat au séchage.
C’est sans doute vrai et empiriquement constaté.
On peut aussi essayer de comprendre :
- en effet, ajouter une pointe de couleur complémentaire dé-sature, tout en restant dans la teinte (l’ajout ou la superposition de raw umber ou de Naple yellow est une alternative générique « facile » pour certaines couleurs ; jamais de noir par contre, qui sert à ombrer, mais qui est incontrôlable pour foncer une couleur en mélange, car ses teintes sous-jacentes sont souvent mal connues et très puissantes),
- l’air de rien, il y a de la chimie derrière ces mélanges : ceux qui ont fait l’expérience de tenter un orange en mélangeant un rouge et un jaune constitués de métaux différents (cadmium, zinc …) s’en souviennent sans doute ; on obtient en général une teinte assez terne et brune car les métaux réagissent d'un point de vue chimique, au-delà de l’effet couleur.Cette injonction générale relève donc plus du hasard ; ce qui ne l’infirme pas d’ailleurs ; ça s’appelle l’expérience. Elle mériterait d’être objectivée. Dans l’attente, et sauf si l’effet empirique obtenu vous satisfait, évitez au moins de mélanger des teintes basées sur des métaux différents.
Et éviter de dépasser ce nombre de trois couleurs : au-delà, on risque fort de constituer un mélange incontrôlable qui finira en bouillie vaguement brune.