Char perse pas-à-pas ...
En l’occurrence, on peut dater ce char de la bataille de Gaugamèles (331 av. JC) où Alexandre le Grand (macédonien) a défait l’armée de Darius (perse), et notamment ses chars à faux. Leur fiasco a d’ailleurs sonné la fin de leur usage substantiel dans de telles batailles.
Il semble que le film « Alexandre » les met en scène de façon utile pour notre usage documentaire ; je regrette du coup d’avoir été freiné, à l’époque, par l’étrange blondeur de Colin Farrell, qui fait que je n’ai jamais vu ce film autrement que par courts extraits. Mais pour cette fois, laissons donc parler l’envie. De toute façon, ce qui est fait est fait … 1. Prise en main
L’échelle est proche du 54mm (45mm supposent plutôt certains ; la gravure est de Daniel Lepeltier, sur un dessin de Sascha Lunyakov). J'avais été particulièrement attiré par le beau mouvement des chevaux. À noter qu'une figurine un peu similaire a existé en 30mm chez Neckel (voir page 79 du livre de Mike Taylor). La gravure (une seule face) est de bonne qualité, malgré quelques défauts de surface, particulièrement sur le char, la cuisse du cheval le plus visible, ainsi que sur le cou. Quand on y regarde bien, le dessin lui-même de la pièce comporte des lacunes : le positionnement des faux peut interroger et, surtout, il manque celles de la roue droite du char ; un spécialiste qui a l’œil m’a aussi montré une erreur finalement assez importante sur la forme générale de l’épaule du cheval ; mais l'ensemble garde bonne allure. Nous verrons que c'est surtout la grande dimension de la pièce, qui m'aura posée le plus de problème. Jupiter Miniatura m'a d'ailleurs confirmé que la taille de cette pièce est aussi une difficulté pour son moulage, ce que l'on imagine aisément ! 2. Préparation
Le travail de préparation a été assez important. L'une des surprises de ces grandes dimensions, c'est qu'il faut être très attentif à la qualité des surfaces. Même pour l'ébarbage des bords, je me suis laissé surprendre. Il faut vraiment redoubler de vigilance car tout se voit à cette échelle.
Les défauts de surface, comme les motifs à supprimer (l'avant du char, le bouclier) se situaient sur des surfaces qu'on aimerait bien planes (le char lui-même) ou dans des endroits tordus à corriger.
Après chaque phase de traitement (assez fastidieux) des surfaces, peinture au blanc humbrol mat, au pinceau. De premiers défauts de préparation ré-apparaissent. Il m'aura fallu y revenir trois fois.
Décidément, la préparation d'une telle pièce est vraiment plus exigeante que pour un 30mm. Quand on gratte les détails gênants, il y a plusieurs risques :
- abîmer les détails adjacents,
- créer un creux en forçant trop, qui va être très difficile à corriger, car le creux créé sera à la fois visible, mais pas assez important pour une réparation au milliput ou autre enduit,
- créer des rayures, ne pas retrouver une surface vraiment lisse. Les limes ne sont guère adéquates car elles n'attaquent pas à plat ; même celle qui présentent un coude ne fonctionnent pas : au mieux, elles laissent des rayures en n'attaquant pas le métal uniformément.
- papier de verre,
- crayon effaceur à fibre de verre ; on trouve ça dans les magasins de beaux arts notamment ; les carrossiers en utilisent aussi pour leurs finitions je crois,
- paille de fer,
- scalpel,
- mini-perceuse armée de fraises très fines récupérées chez ma dentiste préférée : ce qui est usé pour elle est largement assez abrasif pour moi.
- un bronze doré pour la cuirasse des chevaux,
- les chevaux seront blancs pour ce qui les concerne ; je les vois d'un blanc réchauffé de zones légèrement ocre,
- je visualisais le char s'impose en rouge ...
- tester l’équilibre de la palette de couleurs,
- laisser une expression à la peinture, comme je cherche à le faire dans une peinture de tableau, pour éviter l’effet « froid » d’une peinture de plat parfaite, que je crains toujours d’être insuffisamment expressive.
- La « mise en volume » du timon a dû être accentuée à trois reprises, car la partie inférieure de la lame de la faux à l'avant du timon semble facilement se trouver derrière la patte droite du cheval,
- Cette pièce nécessite la représentation de deux métaux, pour lesquels je ne suis que moyennement satisfait :
- les écailles bronze du caparaçon,
- l’acier des faux et, dans de moindre proportion, des roues. Dans ce cas, malgré l’usage décomplexé du noir et un jus d'indigo pour renforcer l'aspect acier, l’ensemble aurait sans doute pu bénéficier d’un ombrage plus franc de l’ensemble de la figurine. - Mes guerriers m’ont déçu en cours de route : alors que j’étais content de leurs visages esquissés, j’ai essayé ensuite d’accentuer leur présence, qui m’a paru fade (un motif, des ombres et du contraste sur la manche blanche).
- Les ors du char me paraissent plutôt bien ombrés et éclaircis, accompagnant l’arrondi de la caisse. Ne pas hésiter, pour les ors comme d’ailleurs pour toute la pièce, à mettre en place des rehauts blancs évocateurs.
- Les pattes sous les chevaux sont ombrées ; par exemple, la cuisse arrière se devait de recevoir la même ombre que le flanc du char,
- Les guerriers sont ombrés sur leur face extérieure. Pour le visage du guerrier le plus à droite, j’ai diminué la précision (ou le contraste) de l’œil gauche : il envoyait un message contradictoire avec son ombrage,
- La roue a été ombrée et une ombre projetée été ajoutée sur le moyeu (c’est l’ombre de la roue : elle est subtile celle-là et c’est un lecteur qui me l’a soufflée),
- Il faut particulièrement veiller, à ces échelles, à une préparation qui ne laisse passer aucun défaut de surface, ni de sculpture,
- Il faut avoir en tête dès le début un éclairage « dramatique » pour bien marquer les volumes : les jus en fin de peinture ont leur limite. Ce qui nous freine sans doute est la peur de cacher notre travail ; en fait, l’ombre ne cache rien, car elle laisse paraître les détails en transparence,
- Il faut dépasser son propre regard, car on s'habitue à ce qu’on a peint, confondant ce qu’on voulait faire et ce qui est effectivement fait (d’autant que le séchage estompe les contrastes). Le travail sur photos peut aider ; mais on peut aussi consacrer plus de temps à réfléchir et à regarder le travail en cours, sans complaisance,
- A force de vouloir tout fondre, le résultat peut manquer d’arêtes qui subliment la précision de la peinture. Il faut savoir marquer les détails, les plis, avec des contrastes locaux forts. Ne pas le faire, c’est aussi ne pas choisir et, finalement, ne rien montrer vraiment,
- Le mieux, ce serait que je mette en oeuvre pour moi-même tous les judicieux conseils que je distille sur le présent site ...
J'utilise les outils suivants :
Je suggère de toujours finir par un léger coup de paille de fer, pour être sûr de retrouver une surface bien lisse. Attention surtout quand on se sent obligé d'ajouter du milliput : il n'a pas la même texture que le métal ; il faut vraiment le poncer très finement pour retrouver un uni dans la phase peinture. Je préfère avoir une main légère et progressive qui n'exige pas de rajout de matière ensuite.
Puis première couche d'humbrol blanc mat : les défauts résiduels apparaissent.
Il faut les traquer sans faiblir dès cette phase. Aucune peinture ne les rattrapera et les ré-attaquer en cours de peinture est une galère.
Il faut être très lucide avec soi-même lorsqu'on observe le résultat. Juste bien, ce n'est pas assez bien ! Et les remords nous taraudent ensuite sur tout ce qu'on a paresseusement laissé passer ... jusqu'à ce qu'on se décide à les corriger ... 3. Les grandes zones de couleur
J'ai ensuite posé les zones de couleurs qui s'imposaient à moi :
Le problème avec les rouges, c’est que les plus riches sont le plus souvent transparents et/ou brillants, même chez Old Holland.
Je cherche deux choses avec cette méthode :
Certains lecteurs (un peu péremptoire ?) ont tenté de me convaincre qu’il fallait représenter le mouvement des roues, à l’image de ce qu’on voit quand une hélice tourne : de fait, dans ce cas, on voit une surface pleine, d’une couleur proche de ses rayons, mais quand même assez indéfinissable. C’est ce qui a donné par exemple le logo de BMW.
Cela supposerait de les remplir et d’y peindre une espèce de trompe l’œil flou … Les photos fournies à l’appui de cette affirmation m’ont semblé moins que convaincantes. Une roue de char, ça ne tourne quand même pas comme une hélice d’avion … En outre, il aurait fallu aussi faire tourner le moyeu et ses faux ?!?
A priori, l'idée de tout faire pour donner l'impression de mouvement serait bonne à prendre. Mais, en l'occurrence, je ne sais pas si on peut peindre ça de façon crédible. Je crains que l’œil n’interprète basiquement, qu'une roue ... pleine. Tout est affaire de convention : une roue détaillée alors qu'elle est censée tourner, c'est juste un instantanée à très haute vitesse ; il suffit de regarder n'importe quelle photo sportive.
Si on estime que cette roue nette perturbe l'interprétation, je préférerais envisager de la couvrir avec un nuage de poussière par exemple. Il faudrait essayer de trouver comment les peintres ont résolu ce problème sur leurs tableaux …
Tout ne peut pas être représenté par n’importe quel média ; c’est pour cela qu’on préfère tantôt l’huile, tantôt l’aquarelle, tantôt le fusain … il faut savoir « tricher » avec ce qu’on peint pour l’adapter à la technique mise en œuvre. C’est vrai par exemple pour les perspectives : si vous voulez dessiner des branches dans différents plans, vous aurez intérêt à les superposer (même si elles ne le sont pas sur le modèle) parce que l’œil verra mieux les différents plans que si les branches étaient représentées éloignées l’un de l’autre. L’œil apprend à interpréter au cours de son apprentissage depuis l’enfance ; mais il faut l’aider.
En l’occurrence, tout n’est pas aisément représentable en plat ; comme en figurine, la représentation de mouvement a ses limites ; bien sûr, il y a des pièces réussies dans le genre, avec des poses torturées nous suggérant l’action. Mais les grandes réussites commerciales, celle qui flatte le plus le regard, restent bien souvent les postures altières voire arrogantes, en tout cas, justement, « posées ».
Le vrai mouvement est dans la sculpture, la vraie. C’est « la valse » de Camille Claudel, pas très compatible avec nos pinaillages ordinaires sur telle teinte d’un uniforme rouge ou son nombre de boutons.
Le monde la figurine a une exception ; il s’appelle Bill Horan. Mes roues ne tourneront donc pas ... Il s'agit d'un instantané au 1/1000. Et toc. 5. Peinture
À cette étape, le rouge foncé du char ne me plaît pas : trop agressif. Les trois guerriers me semblent un peu "faibles" dans la composition, alors que j'étais content de leurs visages dans un premier temps. Si les chevaux restent à préciser, je suis par contre assez satisfait de la palette de couleur (blanc de titane, teinte neutre, raw umber et yellow ochre).
Le rouge
J’ai cru un moment avoir trouvé un rouge foncé génial (Laque de Garance foncée de Sennelier). Mais finalement, il était beaucoup trop criard, pas désaturé du tout.
Du coup, je suis revenu à l'Indian Red (recette toujours surprenante car cette teinte n'est pas très foncée, mais, mélangée au rouge de cadmium, de fait, elle l'assombrit sensiblement et, surtout, la désature), puis du Rode Omber de Old Holland et enfin de l'indigo pour les ombres les plus profondes.
Et j'éclaircis de l'autre côté (depuis l’orange jusqu’au jaune de Naples).
La forme particulière du char impose de bien réussir le fondu et surtout de le positionner au bon endroit.
Matité et désaturation ont eu un effet quasi-magique sur le lissé de la peinture.
Il faut s'accrocher maintenant, considérer que tout ce qui a été fait pour l’instant est une couche de fond, et avancer désormais zone par zone en cherchant à chaque fois à la terminer "du premier coup". Certains lecteurs (UN certain lecteur en fait, mais pas des moindres …) ont préféré s’abstenir de commenter ce pas-à-pas, car il leur est apparu d’emblée que c’était mal parti et que cela ne donnerait rien de bon.
Le pire, dans cette prise de position ferme, c’est que, malgré quelques insatisfactions me restant en fin de peinture, c’est une pièce que j’aime plutôt bien. Mon œil se satisfait mollement de son côté un peu BD … Un vrai cas de complaisance absolument involontaire ! Cela ne m’a pas empêché de l’améliorer par rapport à son premier jet ; chaque passe d’ombrage a de fait été bénéfique, lui permettant de quitter une première version trop lisse, trop « parfaite », trop plate. « Trop propre » m’a-t-on dit ; « il faut contraster les chevaux » … J’aurais sans aucun doute être encore plus radical sur les parties ombrées des pattes, mieux les contraster, aller presque jusqu’au noir, tout en travaillant plus les volumes des muscles. « Surtout pour des chevaux gris » a-t-on ajouté … Sauf que là, je voulais faire des chevaux blancs … À un moment, il faut affirmer ses choix. Idem pour la douceur des couleurs : est-ce un défaut ou une marque de fabrique ? Cela traduit sans doute une vision intime qui doit se forcer à contraster. Tester les éclairages avec l’usage du traitement de photos est une option (voir l’atelier consacré à la photo)). Plus simple et moins cher : il faut réfléchir, parfois longuement, et simuler mentalement comment la lumière peut sculpter une peinture expressive.
L’ombre de la lance
J’ai traîné une imprécision sur l’ombre portée de la lance sur le bouclier : en voulant (contre toute « doctrine ») l’esquisser dès le début, je me suis enferré dans une ombre que j'ai ensuite accentuée, sans plus prendre de recul. A la toute fin, elle se trouve incohérente, à force de vouloir à tout prix marquer une ombre, n'importe laquelle, pourvu qu'il y en ait une ! En plus, elle est trop opaque ...Pas facile ceci dit, puisque la lance a justement la direction de la lumière et qu'en première approximation, on serait tenté de dire que son ombre est ... sous elle, donc invisible ... La question est : comment mettre néanmoins en évidence la différence de plan de la lance et du bouclier ...
Donc, on efface l’ombre rectiligne et on cherche.
J'avais tenté une ombre courbe pour tenir compte de la courbure du bouclier ; ce n'était pas très démonstratif. Peut-être m'y étais-je mal pris.
Très tenté d'inverser l'ombre (sous la lance), je me suis fait un petit montage exposé à une source de lumière classiquement "en haut à gauche, en avant du plan" ... Rien à faire, l'ombre, quand elle est visible, est toujours au-dessus, contrairement, soit dit en passant, à ce que l'on observe sur le dessin du concept originel (voir ci-dessus).
Je pense que l’échec du début tenait à une incohérence que j’avais laissé subsister : le principe de l’ombre courbe était juste, mais comme je n’avais pas ombré la courbure du bouclier, l’œil ne s’y retrouvait pas.
Je ne me suis toujours pas fait de philosophie définitive sur le fait qu'il s'agisse de glacis ou de lavis ... Pour un peintre de tableau à l'huile, un glacis suppose une vraie matière, souvent supportée par un média ou un gel. Aucun n'est malheureusement utilisable en plat, car le séchage est légèrement brillant.
Le lavis est une dilution liquide, utilisée principalement en aquarelle, moins contrôlée dans sa diffusion. Il s'applique principalement sur de grandes surfaces dont on souhaite corriger la teinte générale. Il est utilisé en figurine pour ombrer rapidement les creux ; en plats, il peut parfois laisser un aspect crayeux à la peinture.
Je pose donc avec un pinceau large du Raw Umber ou du Burnt Umber très dilués aux endroits judicieux pour approfondir les ombres (la roue visible, qui ne fait pas face à la lumière ; l'ombre de la roue sur le moyeu est obtenu par une couche supplémentaire).
Cela a ses limites sur des zones importantes (les pattes des chevaux notamment). La vraie bonne méthode, pour retrouver un belle modulation des lumières, c'est bien de peindre ces ombrages, avec ce que cela suppose d'apport de matière/peinture.
Les ombres portées sont peintes en Burnt Umber sur les teintes jaunes ou brunes, et en teinte neutre (+ une touche de raw umber, qui le teinte et le rend un transparent) sur la robe des chevaux. J’ai forcé au noir pur dans les ombres les plus franches (notamment pour "projeter" autant que possible le timon vers le l'avant), ou pour donner la perspective à la roue du char. Pour présenter ce plat, j'utilise un cadre doré assez ouvragé acheté il y a quelques années à Pragues. Un passe-partout simple d'un beau rouge profond et vif éveille l'ensemble en rappelant la teinte du char. J'habille la boite d'un papier qui me semble rappeler une couleur rosée et un motif fleuri d'inspiration perse. Conclusions
Les commentaires récoltés me laissent penser que ce dernier a été vu comme la plus faible des trois pièces.
Publiée en retour d'exposition Sèvres 2015, "Figurines" n°113, février-mars-avril 2016.