Les éléphants en plat d'étain (chapitre 2)
Décidément, les éléphants constituent un sujet qui passionne.
Cette fois, c'est Daniel Canet qui récidive et nous offre deux éléphants de guerre absolument magnifiques. Il y a quelque chose de démiurgique dans sa peinture, qui permet de concilier une précision insensée avec une expressivité qui font que ses pièces attirent irrésistiblement le regard. Il y a de belles choses à côté de lui sur les tables d'exposition. Mais là où il est, il s'impose.
- La grande harmonie des couleurs permet de définir deux univers tout à fait distincts entre les deux pièces : l'éléphant africain notamment est d'une grande cohérence et nous plonge directement dans la savane ...
- Pour rester sur l'éléphant africain (nubien pour être précis), je trouve le motif du caparaçon lui aussi parfaitement en phase et excellemment réalisé, avec une stylisation très évocatrice ; Daniel Canet indique qu'il s'agit de "Apedemak", symbole d'un guerrier-lion nubien. Le reste du caparaçon n'est pas en reste. Côté technique, il faut noter la finesse des traits, qui trouve, dans un lissé impeccable, le juste équilibre entre stylisation et contraste.
- On notera la teinte brune de l'autre éléphant : inhabituel, mais pas choquant ; cela réchauffe le gris habituel (voir encadré pour la palette de couleur).
- Le plus nouveau est l'usage qu'il parvient à faire de la profondeur de champ. Chacun de mes conseils trouvera un jour son contradicteur. Ces deux éléphants font en l'occurrence mentir le doute que j'évoquais dans notre capacité à utiliser l'effet de profondeur de champ. Concrètement, la peinture des parties du corps des éléphants situés en second plan apparait plus "floue" et, sans rien perdre de sa précision pour illustrer les volumes, "appaise" le regard : comme le ferait un photographe pour repousser le décor en mettant en évidence le plan qui l'intéresse, il a "ouvert son diaphragme" (en diminuant la valeur de f, je vous renvoie sur ce sujet aux cours élémentaires de photographie ...) ; il impose ainsi à notre regard une zone étroite de netteté en profondeur. C'est audacieux, et cela contribue en effet à accentuer la mise en lumière des occupants des nacelles et les autres détails très contrastés. Comme quoi il faut éviter d'être trop péremptoire, ce que j'espère ne jamais paraître ...
- Il y aurait tant d'autres points à souligner : l'expression des yeux des éléphants, la compréhension instantanée que la peinture permet des différents plans des bras et armements des occupants des nacelles, la simulation des ors ...
La palette d'un éléphant brun
Dans un excellent article publié sur le forum de la figurine, Daniel Canet précise sa palette.
"Pour changer des éléphants gris j'ai choisi de réaliser une peau brune. Ma palette se compose ainsi :
- brun rouge = terre de Sienne brûlée + noir de mars + pointe d'orange de mars,
- brun jaune = brun rouge + terre de Sienne naturelle + jaune de mars,
- brun gris = brun jaune + gris,
- gris = noir de mars + blanc de titane,
- ombres profondes = terre de Cassel + teinte neutre. Le rôle de l'orange de mars est important, il faut bien le doser en effet il va donner de la luminosité à la couleur compensant ainsi l'effet du noir de mars qui a tendance à ternir." Je me permets d'ajouter un zoom sur sa teinte d'ombre profonde : comme le rappelle aussi Serge Franzoïa, il est important de trouver, pour chaque palette, ce qui tiendra lieu de "noir", mais de façon plus riche et maîtrisée. En effet, quand on dit noir, on n'a encore rien dit : il suffit d'éclaicir au blanc un noir "sorti de tube" pour découvrir des teintes sous-jacentes qui ne sont pas forcément cohérentes avec le reste de la palette. Fabriquer "son noir" permet de l'enrichir et d'en travailler des nuances qui ne se contentent pas d'éteindre les zones ombrées.
A suivre, donc ... Pour le plaisir, ci-après une rétrospective des éléphants déjà vus récemment en exposition :