Freddy Litière : un érudit
Pour revenir aux plats, il est intarrissable sur les techniques et la gestion très réfléchie qu'il a de sa palette de couleurs. Il a bien voulu se prêter à quelques questions pour nous faire profiter de son expérience.
Depuis plus de 30 ans. J'ai commencé par la figurine, très présente à l'époque en Belgique. Mes débuts furent très lents et circonspects : j'ai attendu deux ans à observer avant de me lancer. Mes premiers succès m'ont ensuite encouragé, notamment avec un "Prince noir", première figurine présentée en concours et qui m'a valu une médaille d'or à Bruxelles. Puis c'est Jean-Pierre Duthilleul qui m'a incité à essayer la peinture de plats, comme exercice, d'une certaine manière, afin de préciser la gestion de mes lumières. Tu as eu une formation particulière pour maîtriser tes techniques de peinture ? Tu m'as un jour expliqué comment les anciens maîtres dessinaient chaque brin d'herbe avec un pinceau chargé de vert surmonté d'un pointe de jaune ; le jaune s'épuisant dans le geste du coup de pinceau, le brin se termine tout seul par sa teinte verte ...
C'est une technique parmi toutes celles qu'ils maitrisaient en effet.
J'ai surtout eu la chance de croiser à 12 ans un professeur d'art plastique qui m'a ouvert à tout ce savoir. Une phase essentielle est la maïtrise de la palette de couleur et du cercle chromatique. Je garde le même shéma en tête depuis cette époque : toutes les couleurs se positionnent autour du rouge de cadmium, jaune de cadmium, bleu outremer et vert chromoxyde. Lorsque je teste de nouvelles couleurs, je continue à les positionner sur ce shéma. Le noir assombrit pour sa part les teintes sans les modifier. Le blanc les éclaircit. A propos du noir justement, n'évitait-on pas son usage à une époque ?
Il ne faut pas qu'un excès vienne cacher toutes les couleurs. Mais c'est bien une façon efficace d'assombrir une couleur sans en modifier la teinte. Néanmoins, l'usage du cercle chromatique et des couleurs complémentaires offre des alternatives plus riches, qui peuvent paraître surprenantes tant qu'on n'a pas le cercle chromatique ou le triangle des couleurs en tête ; par exemple, il n'est pas forcément naturel d'ombrer un jaune avec du violet.
En fait, c'est toute la palette de couleurs de la pièce à peindre que l'on doit ainsi harmoniser pour obtenir un équilibre des couleurs et des luminosités.
Je suggère également l'usage de la teinte neutre de Old Holland, qui, bien que colorée d'une teinte mauve sous-jacente, n'attaque pas les couleurs et permet de les assombrir avec subtilité.
Oui, par la puissance de ses pigments. Il n'existe aucun blanc de titane aussi couvrant.
Le bleu Old Holland foncé est une teinte extraordinaire. De même que les sépias (clair et foncé) et les gris chaud et froid, qui, juste transparents comme il faut, permettent d'atteindre des ombres très nuancées dans les blancs. Le rouge baroque est une teinte très transparente mais qui, posée sur des fonds rouges habituels, en enrichit considérablement la profondeur ... Quant à leurs qualités générales, il n'y a qu'à soupeser un tube, très nettement plus lourd que n'importe quel équivalent d'une autre marque, pour comprendre que ce ne sont pas des peintures ordinaires. Toutes les teintes ne sont pourtant pas faciles à utiliser : l'opacité du blanc peut être encombrante, le noir n'est pas très fluide et j'ai été surpris des reflet du burnt sienna ?
En effet, c'est une teinte "dangereuse" qui vire vers le saumon. Cela rend son utilisation impossible pour les carnations, contrairement aux autres marques. Cependant, même en Winsor and Newton, j'utilise plutôt la teinte "terre rouge". On peut corriger le burnt sienna de Old Holland avec du brun de mars. Je crois que tu as une façon particulière de poser parfois ta couche d'apprêt ?
Il m'arrive en effet de terminer par un dernier coup léger de gris très clair à l'aérographe. Je place la pièce face peinte vers le bas, et, par dessous, je viens projeter un dernier voile du futur côté ombré de la pièce. Ce voile retombe avant d'atteindre la future partie éclairée et permet de visualiser la répartition générale de la lumière.
Il y a beaucoup de ces petites astuces que nous pouvons explorer : pour faire les pomelures sur un cheval, on ne les peint pas en blanc sur la couleur de base ; on enlève la teinte encore fraiche pour redécouvrir la couche d'apprêt blanc sous-jacent. Cela contribue à alléger la peinture.
De la même manière, en utilisant la pointe d'une aiguille ou un cure-dent dans le frais, on peut tracer des traits, des effets de craquelures avec une finesse inateignable au plus précis des pinceaux ; et ceci, encore une fois, sans ajouter de matière, mais, au contraire, en allégant la peinture.
Mais les techniques ne sont pas tout. Il faut surtout bien comprendre ce que l'on est en train de peindre. Je me souviens en effet comment tu m'avais invité à corriger l'ombre d'une manche : il fallait bien distinguer le versant moins lumineux de la manche (en couleur foncée de la manche), de l'ombre qu'elle faisait sur le corps (en couleur foncé du buste). A quoi s'ajoutent bien sûr le reflet lumineux en retour du buste et la fine ligne qui sépare manche et buste.
Quelles sont les pièces qui t'inspirent en ce moment ?
La marque Jupiter propose désormais un catalogue de plats de grandes dimensions, gravés sur une seule face, mais de très grande qualité et originaux. Un grand merci d'avoir bien voulu partager un peu de ton expérience