La spécificité de la peinture de plats

Les grisailles
Les grisailles contituent un modèle historique des enjeux du trompe l'oeil et des effets à obtenir
J'ai parfaitement conscience de ne pas toujours réussir sur mes plats tout ce que je vais conseiller : nous sommes en partie animés par des réflexes inconscients qui finissent par réapparaître sur nos productions, à notre corps défendant ; mais une chose est certaine : en sachant où l'on veut aller, on y arrive quand même plus sûrement qu'en laissant aller nos pas au hasard.
Le plat à l'avantage sur la ronde-bosse d'imposer un point de vue au spectateur : comme sur un tableau, les éclats de lumière sont positionnés pour être appréciés selon le même angle pour tout le monde. Ils peuvent donc être forcés sans nuire à leur crédibilité (sous réserve de garder la mesure, et de maîtriser l'art des transitions bien entendu).



  • les contrastes doivent être exagérés pour suggérer les reliefs, et pour que l'effet reste visible malgré la petite taille des figurines. Le plat doit chercher le trompe l’œil en permanence ; la notion d'éclairage zénithal a gagné d'autant plus vite le plat qu'il lui est de toute façon essentiel de choisir l'orientation de sa lumière d'éclairage. Un bon test est de jauger l'effet de la peinture de loin : indépendamment des détails, on doit voir l'éclairage général dès le premier coup d’œil.
    Les meilleurs modèles de l'effet à obtenir sont sans doute les "grisailles", peintures monochromes donnant l'illusion du relief en trompe l'oeil : on y travaille sur la valeur et non sur les teintes (presque superflues à cette étape, mais dont nous verrons qu'elles peuvent aussi contribuer à l'effet que nous recherchons). On peut jauger de la répartition des seules valeurs en regardant notre travail au travers un filtre coloré transparent (on en trouve facilement du rouge par exemple) ; l'exercice a pour intérêt de bien montrer que le relief peut être créé, même avec une teinte unique et que ce sont bien les éclairages et les ombrages qu'il faut prioritairement penser.
    Dans ce but, Louis Bécavin revient sur ses pièces une ultime fois en éclairant au jaune de Naples (en général en haut à gauche ; de fait, cette couleur transparente éclaire assez franchement tout en laissant transparaître la couleur support ; on peut aller localement jusqu'au blanc pur) et en retravaillant les ombres au Brown Madder (on peut enrichir cet effet en ombrant par les complémentaires ce qui a l'avantage de créer des ombres teintées).
  • Un plat réussi est avant tout un plat où l'on comprend tout au premier coup d’œil ; Serges Franzoïa l'expliquait encore en analysant un cavalier 30mm à Sèvres : les gestes, les accessoires, ce qui passe devant/derrière, les réductions de longueur du fait de la perspective doivent être rendu parfaitement distincts et parfaitement compréhensibles : l'oeil humain est extraordinairement perspicace sur ce pont, comme sur celui des proprotions. C'est une contrainte, mais c'est aussi l'opportunité de le séduire de façon instantanée et durable.
    Cela suppose que vous les ayez compris en 3D ; c'est en cela que l'on dit que le plat représente la partie la plus intellectuelle de l'art de la figurine. Évidemment, il ne suffit pas pour cela de délimiter de noir toutes les lignes de gravure ...
  • Tout est bon pour comprendre le plat que nous avons en main : l'observation sous lumière rasante, la recherche d'éléments bibliographique pour comprendre les équipements ou accessoires (leur matière, leurs détails sont souvent expliqués par leur fonction). Freddy Litière suggère un coup d'aérographe rasant qui a l'avantage de faire une sous couche contrastée ; astucieux, mais à l'humbrol alors (voir l'article "préparation" pour ce qui concerne la couche d'apprêt) et léger ! D'autres explorent l'intérêt d'une prise de vue photo dont on ajuste les contrastes. Personnellement, je pense que la compréhension "intellectuelle" des volumes est nécessaire et suffisante ; on verra qu'elle peut se faire pendant toute la préparation de la figurine.
  • Usage du noir : Je commence seulement à utiliser le noir pour marquer les ombres ultimes et forcer encore le contraste. Lorsque le pinceau semble s'enfoncer dans l'ombre que l'on dessine (sensation saisissante et jubilatoire, il faut bien le dire ...), c'est sans doute que l'on tient là un trait et une expression particulièrement juste ; attention néanmoins à ne pas en abuser : on a vite fait d'éteindre tout relief à la peinture.
  • Plus que jamais, la peinture finale doit être exempte de traces de pinceaux ou de poussière ; on cherchera une finition parfaitement lisse et matte (« the best finishing is a mat finishing »); les reflets troublent la compréhension des volumes suggérés et sont parfaitement incompatibles avec le plat ;
  • Hors de question d'utiliser des poudres ou encres pour les métaux : ils seront toujours plus élégants (et crédibles) en MNM (metal no metal) où les éclats de lumière sont imposés par la peinture ;
  • dans la lignée de l'évolution de la peinture de ronde-bosse, la peinture s'enrichit de plus en plus d'un vieillissement réaliste des sujets, en cohérence avec les scènes qu'elles évoquent. De fait, même sur fond noir et sans décor, cela ajoute de la force à la peinture (le "Richelieu" qui a pourtant fait médaille d'or à Sèvres il y quelques années était parfait, mais qu'est-ce qu'il était propre !). Néanmoins, je pense que cela doit garder une vocation esthétique : ce qui doit nous guider, c'est l'infinie variation des teintes que cela permet d'explorer et qui enrichit le regard ; pas l'épaisseur ni le réalisme de la boue sur tel bas de chausse …
  • Nous n'avons pas le droit d'empâter notre pièce. Il faut donc une grande économie de peinture : cela préserve les détails qui sont le propre des plats et qui, de ce point de vue, les mènent au-delà des grisailles ; cela permet aussi de réserver au mieux le blanc de la sous-couche qui transparaîtra au niveau des zones claires : sur de telles petites surfaces, on ne peut pas se permettre d'accumuler les couches éclairantes qui seraient forcément épaisses.
    Je me souviens encore de mes pensées de débutant : ce n'est pas grave si je déborde là, je corrigerai quand je peindrais la zone adjacente. Et bien si, c'est "grave" ; en fait, chaque coup de pinceau doit être donné avec la ferme intention d'être le bon, le meilleur, le définitif. Et si ça déborde avec cette intention chevillée au corps, ça débordera toujours moins, et ça, ce n'est effectivement pas grave.
  • Nous verrons qu'on peut jouer sur la saturation des couleurs pour exprimer la profondeur. Mais globalement, comme pour la ronde-bosse, les couleurs doivent être dé-saturées par ajout de couleur complémentaire et/ou par ajout de blanc (sans délaver non plus les couleurs ni "blanchir" la teinte globale de la pièce) ou de jaune de Naples. A défaut, l'ensemble prendra une allure "Mickey" pas très réaliste. Cela doit être pondéré, bien sûr, selon le sujet : le plat explore désormais l'univers de la bande dessiné, qui peut se traiter avec des teintes plus pures que les séries historiques.
  • Serge Franzoïa peint de façon millimétrique et systématique. Cela suppose une vision extrêmement claire du résultat qu'il veut obtenir. Je ne saurais mieux faire que de renvoyer vers la lecture de l'interview qu'il a donné au magazine "Figurine" dans son numéro 6 d'octobre-novembre 1995.
    L’expérience permet de converger vers une telle pratique. Elle n’est pourtant pas la seule voie : souvenons-nous que Vermeer commençait par colorer les grandes zones homogènes de ses compositions, ce qui ne devait pas être bien loin de notre principe de « sous-couche colorée ». Il faut par contre retenir qu’en peinture, le principe du compromis obligatoire n'est pas valable ; plus votre peinture est spontanée (et donc rapide), meilleur sera le résultat ; la difficulté étant qu'elle soit spontanément excellente !