Quelques figurines, quand même ...

Avant de découvrir les plats d'étain, leur lumière si particulière et leur grâce sous le pinceau des Taylor, Bécavin, Franzoïa, Poisson... je suis passé par la figurine, comme beaucoup.
C'était l'époque du Hussard du Marais, du Train Bleu à Paris ; celle d'avant internet. La figurine commençait à sortir de l'hégémonie (du monopole ?) Napoléonienne, qui ne m'attirait absolument pas ; les jeux de rôle inventaient de curieuses petites choses en 30mm. Trouver une figurine relevait encore de la chasse aux trésor pour le non-initié que j'étais.
De doctes professeurs es-figurines expliquaient qu'il ne servait à rien de peindre quelque chose qui n'avait jamais existé ; et du coup, il ne manquait pas un bouton de redingote. Les magazines spécialisés approfondissaient à l'envie les uniformes de l'empire, en présentant quelques figurines que nous regardons désormais avec une pitié attendrie. C'était le temps des pionniers.
Mes premières tentatives furent tout sauf aisées : je découvrais le samouraî de Ray Lamb dans une vitrine anglaise ? "Thirty pounds", et non "thirteen" comme j'avais cru le comprendre d'abord ; trop cher pour ma bourse de l'époque, juste suffisante pour les petits avions Matchbox. Cette figurine là, je me la suis réservée pour le jour de mon diplôme, à Paris. Une fortune ; et encore n'ai-je pas pu acquérir la version cavalière.

Les commerçants parisiens étaient parfois patients ; le plus souvent condescendants.
A peine quelques années plus tard, dans une boutique où tronait en vitrine l'une des premières grandes créations de Philippe Gengembre (son duc de Bretagne), j'ai immédiatement eu la conviction que c'était ce niveau qu'il me fallait atteindre ; mon samouraï n'était pas totalement ridicule : il me fallait progresser, voilà tout. Je me suis vertement fait doucher. Il était sûrement impossible qu'un quidam ait l'outrecuidance de vouloir faire autre chose que d'acheter ce qu'on lui proposait (déjà, on m'a fait remarquer avec aigreur que je confondais moyen-âge et haut moyen-âge, ce qui, aux yeux du vendeur, méritait sans aucun doute le mépris silencieux dans lequel il préférait me laisser). Mais c'était aussi l'époque du Hussard du Marais, où, avant la lassitude qui a mené à la disparition de ce temple, j'ai reçu les meilleurs encouragements. Alors que je m'étonnais tout haut de constater qu'à chacun de mes passages, les figurines que je retrouvais me paraissaient chaque fois mieux peintes. Le patron m'expliqua que c'était mon oeil qui s'affirmait ; ce que je voyais de mieux en mieux était le reflet de mes propres progrès. Ces figurines là, que j'aimerais tant revoir, je ne suis pas sûr d'en avoir encore atteint le niveau ...
Et puis il y eut le club de Saint-Germain-en-Laye, le Boute-selle. J'y croisais Louis Bécavin qui allait, dèjà, semer la graine des plats ... Et puis tout a commencé pour de bon, au-delà des premiers pitoyables, mais inévitables tâtonnements.

C'est un univers qu'il me fallait découvrir. Encore maintenant, quand je côtoie les plus grands, je me fais l'effet d'un perpétuel amateur, inconstant, ignare, rétif, incapable de profiter pleinement des talents que je croise alors que, dans cette discipline comme dans toute autre d'ailleurs, ils partagent d'autant plus volontiers qu'ils le sont justement, grands. Grâce leur soit rendu ici ; c'est déjà ça.

Pour ma défense, il faut bien dire que désormais la palette de styles, de méthodes, d'époques (y compris imaginaires), de peintures, de matériels a de quoi donner le tournis. Comment suivre l'évolution du niveau sans se spécialiser et, surtout, sans y passer bien plus qu'une vie ? Il me faudrait aller à beaucoup plus d'expositions, me frotter bien plus hardiment aux concours, seule voie de progrès grâce aux coups de pied salutaires qu'ils mettent à nos errements. Et puis l'envie de créer nous prend vite, alors que, contre toute attente, les artisans ne cessent de défricher et de nous offrir de nouvelles merveilles ...

Bref, voilà déjà un extrait de ce qu'il m'arrive encore de tenter. Je sais bien que ce n'est pas moche ; mais ce n'est pas encore le sublime que je fantasme et que je vois à chaque exposition. Du moins cela me sert-il à désormais le reconnaître, pour ce qu'il est, quand je le croise.