Une création remarquable à l'Abbaye aux Dames (Caen)

De passage à Caen, entre autres visites, je suis allé à l'abbaye aux Dames, incontournable.

Ancien monastère de moniales bénédictines fondé au XIe siècle, il abrite désormais le siège du Conseil régional de Normandie. Des visites guidées y sont gratuitement organisées ; elles sont passionnantes et je les recommande vivement. Sans doute joyau mémoriel de ce lieu magnifique, son église abbatiale de la Trinité abrite depuis 1083 le tombeau de Mathilde de Flandre, épouse de Guillaume le Conquérant. Ce dernier est inhumé pour sa part à l’abbaye aux hommes.
Cartel présentant le triptyque "Consécration de l’Abbaye aux Dames le 18 juin 1066"

  • Présentation historique : Cette maquette en trois parties a été réalisée en 1987, dans le cadre des festivités liées au 900ième anniversaire de la mort de Guillaume de Conquérant le 9 septembre 1087.
    Les auteurs de ce triptyque sont Luc Marie et Alain Letort.
    La scène centrale représente la consécration de l’Abbaye aux Dames le 18 juin 1066. Une main divine descendant du ciel semble désigner l’importance de cet événement. On voit celle même main sur les scènes 25 et 26 de la tapisserie de Bayeux lors du transport du corps du roi défunt, Edouard le Confesseur, vers l’abbaye de Westminster. À cette occasion l’église abbatiale sera dédiée à la sainte Trinité.
    Au niveau de la croisée du Transept, on reconnaît Guillaume le Bâtard, Duc de Normandie, revêtu d’une cape pourpre, Mathilde, Duchesse de Normandie et, entre les deux, une petite fille portant des vêtements religieux. Elle n’est autre que Cécile, fille du couple ducal, qui sera offerte à l’abbaye alors qu’elle n’est âgée de seulement 5 ans. Elle prendra le voile de religieuse à l’âge de 12 ans puis deviendra la seconde abbesse de l’Abbaye aux Dames à partir de 1113.
    Derrière sont présents quatre évêques reconnaissables à leur crosse épiscopale, accompagnés de reliques spécialement apportées dans un reliquaire pour cet événement.
    Dans le chœur, des religieuses bénédictines prient et dans la nef une grande partie de l’aristocratie normande assiste à cet office. Par la suite, tous les grands seigneurs laïcs et ecclésiastiques se réunissent au château de Caen autour de Guillaume pour finaliser les préparatifs de la conquête de l’Angleterre (bataille d’Hastings le 18 octobre 1066).
    À gauche de cette série est symbolisée une représentation de la vie quotidienne dans la Normandie de Guillaume et à droite les préparatifs de la conquête de l’Angleterre (abattage des arbres, construction de navires).
  • Présentation technique: Luc Marie et Alain Letort sont les seuls au monde à utiliser cette technique qui avait disparu au XIXième siècle. Il s’agit de couler dans un bloc d’ardoise, provenant d’Allemagne de l’Est, de l’étain (90 % environ) mélangé à du plomb et ensuite de faire cuire ce moule à forte température.
    Une fois refroidies, les petites figurines sont peintes à la main.
    Pour la représentation des personnages et décors, les deux auteurs se sont inspirés de la Tapisserie de Bayeux e de l’iconographie de l’époque.
    Tout ce travail de moulage, de cuisson, de peinture représente environ 6000 heures de travail soit deux années et demie consacrées à la réalisation de cette maquette.
Pour le pape Léon IX, le couple ducal formé vers 1050 par Guillaume le Conquérant et Mathilde de Flandre se trouvait en effet en situation de péché pour cause de consanguinité. D’abord excommuniés, ils sont pardonnés par le pape Nicolas II, en contrepartie de la création des deux abbayes. Comme souvent à cette époque, cette vision « romantique » se double bien sûr de considérations plus politiques. Mais restons-en là pour ce qui nous concerne.

À proximité de l’entrée latérale de l’église, qui mène directement au tombeau de Mathilde, qui capte bien évidemment toute l'attention des visiteurs "habituels", quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une œuvre étonnante : trois vitrines de plats d’étain originaux, création unique commémorant la consécration de l’Abbaye aux Dames le 18 juin 1066. Il en émane un charme qui rappelle celui de la Tapisserie de Bayeux, dans un style qui lui est propre néanmoins. Réalisée il y a trente ans, elle a gardé intactes de magnifiques couleurs. En trois panneaux à l’élégante perspective, elle évoque autant une cérémonie religieuse majeure, que quelques scènes de la vie quotidienne.

Sa peinture est de facture juste ce qu’il faut de « naïf », bien en phase avec l’époque et le thème évoqués, mais d’une grande finesse dans la réalisation. On aurait sans doute été gêné d'y voir les subtilités de peinture que l'on trouvait, déjà bien avant les années 80, chez un Douchkine, pour ne citer que lui.

Je dois aux services du conseil régional de pouvoir vous en proposer quelques photos. Je remercie tout particulièrement Madame Hélène Billat, chercheur au service de l'Inventaire (Direction de la culture et du patrimoine), qui a bien voulu relayer mes recherches. Je remercie également la photographe qui a su magnifier les couleurs de cet ensemble remarquable ; les photos sont sous copyright (c) Région Normandie/Inventaire général/Léonie Hamard.

Le cartel associé au triptyque donne quelques informations complémentaires sur les circonstances de sa réalisation. Vous constaterez qu’il comporte une petite imprécision : nous savons que la création de plats est encore une activité tout à fait vivante et qu’elle ne s’est pas arrêtée au XIXième siècle (heureusement pour nous, amateurs de plats d’étain !), et la part du graveur n’est pas explicitée. Je vous recommande bien entendu d’aller voir cette pièce par vous-même ; la ville de Caen et sa région méritent amplement un séjour !

Place aux photos :

Pour en savoir plus sur les circonstances de la création du tryptique, expliquées par Alain Letort, c'est par ici
Pour en savoir plus sur le travail de Luc Marie, c'est par ici