Les arts d’après Mucha : comparaison de deux versions

Comme le hasard des expositions m’a permis de récolter une interprétation de la série que j’ai réalisée également, je me propose d’en faire une observation comparée. Les expositions/concours sont anonymes, mais je ne crois pas me tromper en pensant que ces pièces ont été peintes par Catherine Poisson (avec lesquelles elle a recueilli très logiquement deux médailles d’or successives).

Pour ce qui me concerne, peindre ces pièces a été une dérogation par rapport à mes principes (pas de copie de tableau), en tout premier lieu par goût : ces pièces, de grande taille (75 mm), me semblent un assez juste hommage au génial graphiste praguois dont beaucoup de création ont déjà donné lieu à toute sorte de produits dérivés. Et, en l’occurrence, cette série forme un petit ensemble qui peut présenter un charme certain.
Si rien ne peut être supérieur aux originaux, mais en considérant aussi que les créations de Mucha étaient le plus souvent destinées à la reproduction, on peut aboutir à un résultat qui ajoute quelque chose à l’infinie déclinaison qu’elles ont déjà inspirée.

Personnellement, prenant un peu de distance avec les peintures originales, j’ai voulu mettre en avant la sensualité virginale des jeunes métaphores : toutes les 4 sont donc drapées de blanc. J’ai également voulu travailler les portraits en les rendant un peu moins neutres que les originaux, tentant une forme d’invite dans les regards. J’ai également voulu profiter de l’exercice pour ré-inventer, sur le décor qui coiffe chaque allégorie, des motifs nouveaux, d’inspiration art nouveau.
Rétrospectivement, je pense que ce pari là est plutôt réussi. Pour plusieurs raisons, les premiers ne le sont qu’à moitié. L’analyse comparée des pièces, mieux complètement maîtrisées de Catherine Poisson, permet de comprendre pourquoi :

  • Le choix du blanc en teinte unique pour tous les drapés n’était pas le choix de la facilité. Il permet des pièces lumineuses, mais rétrospectivement, je trouve que les couleurs pastels choisies par Catherine Poisson ajoutent quelque chose. C’était d’ailleurs le choix de Mucha, et cela peut se traiter sans nuire à l’exercice de transparence sur la peau. Tous les contrastes s’en trouvent par ailleurs enrichis et ils sont traités avec ce qu’il faut de force pour accentuer les effets de volume.
  • La transparence n’est, pour sa part, pas très difficile à obtenir : en tableau, nous pourrions utiliser l’extraordinaire « liquin », qui permet des glacis merveilleux, mais qui sèche trop satiné pour les plats. Pour nous, une couche bien tirée de la teinte pastel des voiles, posée sur les surfaces à recouvrir préalablement peintes avec tous leurs « volumes », fait l’affaire ; elle est ensuite retravaillée en affirmant et en soulignant des plis un peu plus opaques. Le véritable enjeu n’est pas dans cette phase, mais plutôt dans la précédente : il faut bien accentuer les contrastes de la zone (de chair en l’occurrence) sous-jacente. Sans cela, on arrive à un résultat trop plat, comme le montre la comparaison de ma version et de celle, bien plus « vivante » de C. Poisson. Il est possible d’affiner un peu cet aspect en retravaillant les ombres après le glacis de transparence, mais l’effet sera bien plus profond si l’on travaille sur un support aux contrastes bien ajustés. Observez comment C. Poisson ajoute de la profondeur à sa peinture par l'infinie varitété des teintes qui animent ses plis et leur transparence.
  • Autre endroit où les contrastes bien ajustés ajoutent à la profondeur de la peinture : les chevelures et les visages. C’est particulièrement visible sur la chevelure blonde de « la danse ». Il ne faut donc pas hésiter à foncer fortement de façon à bien faire ressortir les grands mouvements des mèches ; c’est finalement plus important que de suivre scrupuleusement chaque mèche gravée, dont on s’épuise à faire croire que chaque relief peut figurer un cheveu  !
  • Concernant les visages, j’ai cherché une plus grande sensualité, notamment dans les bouches. C’est finalement à moitié réussi ; l’échelle a ses limites et la gravure des visages devient rapidement une gêne. Notez par contre la précision des regards chez C. Poisson. Les yeux, avec la bouche, sont les premières choses que l’on regarde dans un portrait ; Lewis Carroll en a eu une intuition très sûre avec son chat de Cheshire : quand il disparaît, il ne reste, flottant dans l’air, que son regard et son sourire ; vous pouvez réaliser cette expérience très simplement, elle est saisissante et traduit bien comment notre cerveau fonctionne lorsqu’il regarde un visage). Les yeux doivent donc être extrêmement précis à cette échelle : on peut introduire un rien de flou dans tout le reste du visage, ce qui y mettra un velouté appréciable (notez comme certains éléments des visages auraient paru moins artificiels si elle avait plutôt laissé s’installer des transitions plus douces), mais pas dans les regards. Les photographes ont le même réflexe : quand on traite un portrait, on vise à avoir un regard très précis, à la prise de vue comme en post-production, et on peut légèrement introduire un flou dans le reste du visage. Astuce suprême, sa « littérature » regarde sur le côté, ce qui résous élégamment la relative banalité du visage livré par le graveur.
J’ai la faiblesse de préférer ma version des motifs inventés sur les éléments de décor surmontant chaque allégorie (sauf pour la poésie, inégalable chez C. Poisson). Vous noterez que, volontairement, j’y ai mis peu de contraste, qui les aurait rendus artificiels. Les couleurs des éléments de motif se juxtaposent sans séparation foncée, laissant un velouté agréable à l’œil. L’enjeu était d’inventer des motifs que l’on daterait sans hésiter de l’époque art nouveau, tout en volutes végétales complexes, mais qui pouvaient être déclinés en petite taille sans perdre de leur pertinence : jusqu’au bout, l’œil, partant des grandes tailles, doit s’y retrouver pour les plus petites. Pour aider un dessin régulier de la base ronde de chaque motif, j’ai commencé par les tracer au crayon au moyen d’une règle-pochoir.

Cette série, de moins bonne facture que celle des saisons, présente de graves lacunes de dessin et de gravure (pour tout dire, elle est assez désagréable à peindre tant qu’on n'a pas décidé de façon radicale d’en corriger les défauts au préalable. On ne le dira jamais assez : aucune peinture ne peut corriger une mauvaise gravure). La danse a un petit ventre qu’on peut aisément corriger (quand on n’y regarde bien, la tête est aussi un peu petite, mais ce défaut est moins visible, surtout si l’on prend la précaution de ne pas l’accentuer par la peinture).
Les poitrines de la littérature et de la musique sont par contre catastrophiques. Pour la littérature, le cou est également trop long, ce qui m’a personnellement bloqué de nombreuses années, jusqu'à ce que je décide à "descendre toute la tête".

Ces deux versions présentent au total des choix radicalement différents :

  • J’ai laissé les poitrines nues, en les « reconstruisant » ; j’ai par ailleurs raccourci le cou de la littérature, ce qui m’a obligé à en refaire tout le visage.
  • Catherine Poisson a choisi de les rhabiller, et de les enrichir au passage de bijoux. C’était un coup de génie. Surtout qu’elle a donné aux bijoux une véritable brillance en jouant sur les contrastes et les ombres qu’ils provoquent. Elles les a par ailleurs conçus tout à fait dans le style Art Nouveau. Je suis moins convaincu par les autres bijoux ajoutés aux cheveux ou dans les robes ; une version présentée lors de la sortie de ces pièces en avait ajouté dans le genre ; je trouve qu’avec eux, on tombe dans un kitsch qui dessert plutôt la figurine (il y a avait de même, dans cette version, une accumulation de traits qui finissait par vieillir considérablement les portraits, à force de vouloir faire démonstration d’habileté).

Si c’était à refaire ? Et bien je mixerais les deux solutions :

  • Même si C. Poisson réussit à faire oublier le cou trop long de la littérature, je pense que je ne pourrais pas m'empêcher de le corriger ;
  • Sous les corsages, on devine encore des pitoyables poitrines. Je commencerais donc par les refaire … avant de les rhabiller, au moins de leurs bijoux !
  • Mon choix, quelque part, aura été celui d’une certaine paresse car se priver de cette opportunité laisse des bustes finalement peu intéressants. On a toujours intérêt à essayer de profiter de toute occasion pour ajouter un détail, un accessoire, qui viendra calligraphier chaque millimètre carré de la figurine. C’est notoirement vrai en fantastique ; on voit ici que ce peut être aussi le cas pour des périodes « historiques ».
    Je ferais beaucoup plus attention à soigner le lissé des surfaces reconstruites : le visage de la littérature n'était notamment pas suffisamment achevé et cela s'en ressent dans la peinture, qui n'arrive pas à fournir un portrait expressif.