Les éléphants en plat d'étain (chapitre 3)

J'ai à nouveau exploré deux beaux exemplaires d'éléphants d'apparat.
À l’issue des précédentes expositions, et après de longs échanges avec les meilleurs peintres qu’elles permettent de rencontrer, j’avais ressenti une forme de déclic dans l’expression des contrastes. Il mûrissait depuis longtemps, cherchant son chemin entre la retenue qui m’est naturelle (mais qui cantonne la peinture de plat à un joli coloriage) et une expression plus affirmée, qui contribue indéniablement à faire éclater la lumière.
C’est donc une vraie rupture, assumée, nourrie devrais-je dire, depuis de nombreuses années. Parfois, on est têtu ...

Le thème s’y prêtait parfaitement : le côté apparat permet de se décomplexer entièrement sur le choix de la palette, sans trop risquer de faute de goût. J’ai donc avant tout cherché à me faire plaisir, en essayant néanmoins de rester bien sûr dans ce qu’on peut attendre de l’environnement historico-géographique de ces aimables pachydermes :
  • de façon générale, j'ai laissé totalement tomber l'obsession de la désaturation des couleurs pour les parties ornées. J’ai choisi mes motifs et j’ai laissé parler des teintes quasiment pures,
  • pour les éléphants par contre, le raw umber a une fois de plus fait des miracles, associé à la teinte neutre : la rupture a surtout porté sur les contrastes ; les pattes au second plan sont très nettement assombries ; les arrondis du volume des pattes, des têtes et du corps sont ainsi plus soulignés et des rides très précises viennent augmenter les contrastes et l’impression de précision qui se dégage de l’ensemble. J’ai peint avec sous les yeux de vraies photos d’éléphants, afin de coller au mieux à la texture réelle de leur peau,
  • des rehauts vifs sont appliqués partout pour souligner les détails, mis en évidence par une ombre adjacente marquée. À chaque étape, la plus extrême finesse de trait (ce qui suppose une toute aussi extrême précision : il faut vraiment arriver à dessiner très précisément ce qu’on cherche à peindre) a été recherchée,
  • le caparaçon au tigre est un hommage appuyé au premier éléphant de Daniel Canet. Il est directement inspiré d’un dessin japonais (ou chinois?),
  • l'autre est un pur exercice de style où j'ai choisi une ornementation toute en circonvolutions (source : histoire de l’ornementation de chez Taschen),
  • j'ai agrandi la bannière, initialement triangulaire et trop réduite à mon goût, pour y épanouir une scène animalière que je voulais illustrer (feuille de milliput armé d’une feuille d’étain). Daniel m’a très justement fait remarquer qu’il n’était pas certain qu’une lionne existât dans la région d’où provient vraisemblablement l’éléphant ; il n’a pas forcément tort, mais je fais ce que je veux …
  • j’ai choisi de ne pas conserver le heaume décoratif qui orne la tête de l’éléphant ; en y regardant de plus prêt, je crois bien avoir laissé une partie des franges, qui auraient mérité d’être poncées avec le reste,
  • l’ensemble a encore été très ombré par la suite, afin de vraiment mettre en évidence le sens de la lumière. Ombrer fortement par une ligne fine l’arrière d’un plan éclairé permet à la fois d’accentuer le contraste et d’affiner à l’extrême la ligne éclairée.

Médaille d’or, qui fait toujours plaisir.
Satisfait alors ? Hé bien non, toujours pas. Moins peut-être encore que les autres fois. Car une fois cette étape franchie, j’ai le sentiment que mon œil s’est encore affûté : à peine sorti de l’expo, je n’y voyais déjà plus que les défauts que je me jurais bien de corriger à la prochaine peinture ! J’ai notamment moins bien maîtrisé un léger lustrage résiduel de la peinture, qui, à mon avis, aurait été fatal face à un jury anglais où le mat absolu est de rigueur, surtout pour les rondes bosses.

Il faut dire aussi que Daniel Canet se trouve avoir également peint l’éléphant à bannière, dont il m’a montré son interprétation. En la regardant, malgré ma médaille d’or, j’en suis instantanément venu à me demander quel métal devrait avoir la sienne s’il avait concouru à Sèvres... ; quelque chose entre le platine et la kryptonite sans doute … C’est joyeusement désespérant ! J’en joins une photo, avec son autorisation.

  • Observez la matité qui vient encore souligner la précision de la composition,
  • Le motif en bord de caparaçon n’est pas entièrement bien reproduit par la photo : il semble vibrer quand on le voit en vrai,
  • Observez comment l’extrême contraste de certains éléments (les pompons du caparaçon) s’harmonise avec le velouté d’autres parties (le pantalon du cornac),
  • Et admirer plus généralement l’équilibre qui émane de l’ensemble, sans ostentation supperflue, mais avec une fermeté des contrastes, qui sublime la précision du trait.

A suivre encore, car je suis sûr que d'autres interprétations surgiront de ce sujet haut en couleur.