Les éléphants en plat d'étain (chapitre 4)

Pendant que j'y étais à traduire Greg DiFranco, j'ajoute ce quatrième chapitre à la série concernant les éléphants en plats d'étain. Je commente la traduction d'un article rédigé à nouveau par Greg DiFranco sur la base d'une de ses pièces, particulièrement célèbre. Je n'ai pas eu l'occasion de la voir "en vrai" ; ce qu'on peut en apprécier sur la photo en matière de traitement des ombres est, pour autant, déjà saisissant.

Greg di Franco

La série des éléphants de guerre carthaginois de Krog est vraiment une magnifique collection de petits chefs d’œuvre. Il y a une telle variété de pose, et les expressions des visages sont merveilleuses. Bien entendu, ce qui les rend si spéciales, c’est qu’elles sont gravées par le maître, Ludwig Frank. Comment il était capable d’obtenir des expressions faciales sur d’aussi petites surfaces, en utilisant des outils à graver sur de l’ardoise n’a jamais cessé de me surprendre. Il y a également une vitalité de mouvement inhérente à son travail qui est inégalée. La totalité de la maîtrise de chacune des gravures de Frank ne se révèle pas avant que vous ne commenciez à ajouter les lumières et les ombres et que vous n’étudiez chaque pièce de très près et par vous-même ! Comme dit toujours mon ami Jim Horan, « Les plats sont la forme d’art de qualité la plus économique que vous pouvez acheter », et Ludwig est le top de cette forme d’art selon moi.
Bien sûr, les éléphants de guerre ne sont peut-être pas totalement réalistes. Je pense que les éléphants africains que les carthaginois utilisaient étaient probablement plus petits, si je me souviens bien de mes livres d’histoire, et ne portaient vraisemblablement pas d’aussi grandes nacelles. Mais là encore, qu’en savons-nous : c’était il y plus de 2000 ans !! De toute façon, ce plat porte un tel potentiel dramatique et un tel dynamisme dans le mouvement qu’il réclame pour être peint.
Ce plat a été peint à l’acrylique ; j’ai commencé comme d’habitude avec un primer gris, puis, avec du blanc et du gris foncé, j’ai peint toute la figurine de ses lumières et de ses ombres, en prenant bien garde de préserver beaucoup de tons intermédiaires, afin que les rehauts gardent leur impact. C’est l’étape où nous pouvons être hardi et prétentieux, c’est-à-dire peu soucieux des détails et de la précision qui est tellement parti intégrante de ce que nous faisons. Je bougeais la source de lumière dans mon esprit pendant que je mettais en place le motif résultant de l’éclairage. Je prenais le risque de mettre le romain dans l’ombre dans l’espoir d’accentuer l’effet dramatique. J’ai également repoussé dans l’ombre l’archer situé près du front. J’ai pensé que cela aiderait à ajouter un intérêt : en positionnant différentes figurines sous des angles différents du soleil, à l’opposé de la pratique courante consistant à garder toutes les figurines d’un groupe dans le même motif de lumière. En réalité, chacune dans le groupe devrait faire face, parfaitement en ligne et avec le même motif d’illumination. À cette étape, j’ai aussi joué des ombres projetées pour chercher comment elles tomberaient. Les ombres des pompons ont été amusantes à peindre, et en les estompant vers le bas, cela crée l’impression que les pompons avancent vers le spectateur. J’ai trouvé que l’angle des ombres provenant des carquois étaient un peu plus délicates ; je me doutais où elles devraient tomber et j’ai un peu tâtonné jusqu’à ce que j’ai ressenti l’illusion de la perspective. J’admets que j’aurais pu en faire une maquette et la placer sous une lumière vive, mais j’étais trop paresseux.
La couleur est ajoutée à l’issue de cette étape. Quelques « trucs » que j’utilise pour l’éclairage : toutes les zones d’ombre tournées vers le haut sont peintes avec un peu de bleu (la lumière ambiante qui reflète le ciel) et toutes les ombres tournées vers le bas comportent de l’orange ou du jaune, reflétant la lumière du sol.
La technique est que pendant la mise en couleur initiale, je travaille très finement, de façon à ce que la sous-couche apparaisse en transparence, particulièrement la sous-couche blanc vif des rehauts. Au fur et à mesure que je mets en place la couleur, la plus grande partie, voire toute la sous-couche est cachée. Néanmoins, l’effet de la sous-couche blanche est important pour aider à donner de la vigueur aux zones de couleur illuminées. Il est indiscutable que les couleurs sont plus vibrantes lorsque a sous-couche est blanche (Mike Taylor) plutôt que grise.
Je ne réalise pas vraiment de mélange traditionnel ; pour obtenir des transitions douces, je laisse la couleur sur le pinceau que je viens d’utiliser puis je retire un peu de couleur plus claire ou plus foncée de la palette et je remélange une couleur juste un peu plus claire ou foncée directement sur le pinceau et lorsque je la place sur la figurine, cela ressemble à un mélange : en fait, un mélange optique.

Commentaires

Plusieurs marques éditent ou ont édité des éléphants de guerre ou de parade. Vous en trouverez quelques uns dans la rubrique Liens. Comme le souligne Greg DiFranco, vous pouvez acheter les yeux fermés toutes les pièces gravées par Ludwig Frank ; pour les autres, je vous invite une fois encore à acheter sur pièce. Toutes les interprétations ou gravures ne se valent pas ; on trouve parfois des erreurs de proportions assez grotesques. Notez néanmoins l'appréciation véritablement artistique de Greg DiFranco : il ne se borne pas à une stricte représentation historique ; c'est d'abord l'émotion qu'il cherche à susciter ; pour ma part, j'approuve avec enthousiasme.

Sur cette pièce, Greg DiFranco a choisit l'acrylique. Il complète assez sensiblement les termes de son article général : il exprime mieux ici la force du geste artistique qu'il impulse dans sa grisaille. Il teste, il prend des risques. On comprend mieux avec ce cas concret que c'est à cette étape que se jouera tout le caractère expressif de la pièce.

Dans ce qu'il explique concernant les ombrages des archers, on comprend qu'il a pris de vraies libertés par rapport au strict réalisme. Là où ces choix sont remarquables, c'est que, tout en n'étant pas tout à fait "orthodoxes", ils trompent parfaitement l'oeil, qui ne retient que le caractère très expressif de la mise en lumière. Il est fort probable que la technique de mise en couleur n'y soit pas étrangère non plus.
Notez comment le travail sur l'ombre des pompoms accentue l'effet de profondeur. Il est normal d'estomper leurs parties basses : les ombres portées sont d'autant plus floues que l'objet s'éloigne de son plan de projection.

Pour la mise en couleur aussi, Greg DiFranco innove par rapport à la règle générale qu'il énonce dans son article : il peint en couche très fine, laissant apparaître la sous-couche, notamment pour les rehauts. Indéniablement, nous avons tout intérêt à utiliser le blanc vif de la sous-couche pour préserver les teintes les plus vibrantes.

Il livre aussi, au passage, une partie de sa technique de peinture, qui explique la texture très particulière de ses créations : quand on y regarde de près (mais il faudrait pour cela avoir accès à une pièce "in real life", ce dont je n'ai eu l'opportunité pour l'instant qu'à Kulmbach en août 2017), on devine une grande liberté par rapport au standard de peinture, tout en fondus délicats. Avec une vigueur qui lui est propre, les couleurs se juxtaposent, s'affrontent, dans des modalités très expressives et cohérentes avec la vigueur de la mise en lumière.