Le bestiaire de Jérôme Bosch par Arnaud Godet

Je continue à réfléchir à la gêne confuse que je ressens face aux plats qui choisissent de reproduire des tableaux. Ils peuvent être peints avec talent, mais qu'ajoutent-ils au paysage créatif ?
Il m'arrive de me contredire moi-même car je n'ai pas boudé mon plaisir avec les deux séries s'inspirant des Arts ou des Saisons de Mucha.

Ce sont cette fois les œuvres de Jérôme Bosch qui me semblent faire l'objet d'une interprétation intéressante.
L'univers des plats d'étain n'est d'ailleurs pas le premier à s'intéresser au fantasque bestiaire dont les maîtres hollandais ont peuplé leurs tableaux. Je vous invite notamment à découvrir cette vidéo, mettant en scène de façon étonnante "Le jardin des délices".
Antoine Roegiers pour sa part a remis en mouvement le bestiaire des péchés de Pieter Brueghel.
Aucun doute dans ces deux cas : ces créations, s'appuyant sur les œuvres originales, font bien plus que leur rendre hommage.

Il existe, dans un autre registre, une série de petites miniatures qui semblent tout à fait charmantes.

Jupiter Miniatura a poursuivi avec bonheur ces hommages, en nous proposant une série issue de ce même bestiaire : elle nous permet de concentrer notre attention sur ces délirantes créatures et je ne doute pas qu'elles permettront d'affuter notre regard sur les œuvres originales ("Le Jugement dernier", "Le jardin des délices" et "la Tentation de Saint-Antoine").
Les dessins ont été réinterprétés par Mike Taylor et la gravure assurée par Daniel Lepeltier. Ce sont de très jolies pièces, très finement gravées. Jupiter Miniatura espère pouvoir sortir sa seconde série en 2016 (la première étant vendue en deux sous-ensembles).

Arnaud Godet s'est lancé dans leur peinture. Cet atelier sera l'occasion d'observer pas-à-pas ses techniques de peinture. Il sera donc évolutif au fur et à mesure de la progression de son travail.

Dès cette première étape, on visualise sa technique : des aplats de couleurs sont progressivement "enrichis" en reliefs figurés par ombres et éclaircies.
Cela donne une cinématique du travail de peinture très progressive, où le flou relatif du début s'organise peu à peu sur l'ensemble de la figurine.
Le résultat en est presque étonnant de précision, tant on a fini par s'habituer aux premières étapes. Les fondus sont notamment très travaillés (voir encadré), donnant au final une peinture d'une grande douceur.

Rouge et bleu selon Arnaud

Arnaud maîtrise tout particulièrement les fondus de deux couleurs essentielles : le rouge et le bleu. Voici ses recettes.
  • Rouge : Noir de Mars (Lefranc-Bourgeois), Terre d'Ombre Brûlée (Lefranc-Bourgeois), Brown Madder (Winsor et Newton), Rouge de Cadmium Moyen (Lefranc-Bourgeois), Rouge de Cadmium Clair (Sennelier), Jaune de Cadmium Orangé (Lefranc-Bourgeois),
  • Bleu: Noir de Vigne (Winsor et Newton), Bleu de Scheveningen Foncé (Old Holland), plus rarement les Bleu de Cobalt Véritable et Bleu de Céruléum (Sennelier), Blanc Zinc+Titanium (Old Holland).
On notera donc dans les deux cas l'usage de noirs, ce qui n'a pas toujours été recommandé pour le plat. Pas n'importe quel noir d'ailleurs, car il faut toujours se souvenir que, quand on dit "noir", contrairement à ce que dit la chanson, on n'a encore rien dit : encore faut-il savoir ce qu'il cache. Un prochain atelier y sera consacré.
Pour le rouge, il utilise aussi de la terre d'ombre brulée plutôt qu'une couleur complémentaire tel que de l'indigo, parfois suggéré. On notera enfin la grande richesse de ses zones claires : pas moins de trois nuances pour parvenir à un velouté extrêmement fondu, dont les zonnes claires émergent puissamment de l'ombre.
Les mélanges sont en apparence plus classiques pour le bleu. Il utilise cependant des teintes remarquables : le bleu de Scheveningen foncé d'Old Holland est une teinte extraordinaire de couvrance et de puissance de couleur, plus expressive qu'un indigo. Les bleu de Cobalt Véritable et bleu de Céruléum sont pour leur part des teintes à forte personnalité, qu'il faut savoir maîtriser pour garder son équilibre à l'ensemble de la figurine.
Sa modestie dût-elle en souffrir, cela m'inspire le vert Véronèse ou l'indigo de Vermeer : quand on regarde ces couleurs à part, on s'étonne qu'ils aient réussi à les insérer dans leurs œuvres sans déséquilibrer l'ensemble de la composition.

Douceur et contraste : l'appréciation de leur balance, et du résultat final est affaire de goût. Le style de la pièce oriente en partie les choix : une figurine issue de l'univers de la bande dessinée ou du manga ne sera pas traitée avec la même sensualité des contrastes qu'une beauté à la Mucha. La constante, c'est que la lumière se doit d'être maîtrisée, et illustrer clairement le choix du peintre. Eclairer en haut à gauche, dans le cas général, et foncer en bas à droite est la base.
Je retiens de la lecture de Mike Taylor l'importance de la lumière réfléchie : elle vient sortir la pièce de l'obscurité qui risque de survenir à force de vouloir marquer les ombres : un ombrage massif (parfois même au noir) constitue une tendance actuelle de certaines écoles, qui rencontre un succès certain, sans doute par le dramatisme flatteur qu'elle offre aux regards superficiels. Travailler les lumières réfléchies permet à l'inverse d'enrichir à la fois le contraste et les couleurs.

Décembre 2015 : Arnaud Godet nous livre l'avancement de sa série ...

Pour autant, il considère une seule pièce comme pleinement achevée :