Le ménestrel pas-à-pas ...

Je reprends ici, en l'enrichissant, le pas-à-pas que les camarades du « Forum de la figurine » m’avaient suggéré d’engager.
Les échanges qui s’en sont suivis m’ont été extrêmement utiles et j’en remercie chaleureusement les auteurs.

Il s’agit d’une figurine Jupiter dont j’ignore si elle est inspirée d'un tableau ou d'une illustration quelconques. La gravure (une seule face) est excellente.

    Le sujet présente plusieurs défis intéressants :
  • du bois (chaise, meuble, luth verni),
  • du métal (le casque),
  • du marbre (carrelage),
  • et surtout, verres et bouteille avec leurs transparences et leurs éclats, que les peintres figuratifs traduisent si bien en natures mortes.
    En termes de palette de couleurs générale, je feuillette ma documentation pour me pénétrer des teintes de que je peux deviner de l'époque et, me laissant inspirer par l'ambiance de la pièce, je visualise rapidement :
  • Le soldat fatigué, aux couleurs que j'imagine froides, forme un contraste avec un ménestrel aux couleurs exubérantes ...
  • Assez vite, je visualise un beau bleu hollandais pour le pourpoint,
  • De grosses masses de bois sombre (la chaise, le meuble) m'incitent à retenir une couleur qui permettra de redonner de la lumière à la partie basse : les bottes ne seront donc pas noires, mais plutôt fauves,
  • Le jaune s'impose pour le ménestrel ; et, du coup, sa couleur complémentaire qui flashera bien : du mauve,
  • A cette étape, je suis faible sur la cape ... Je pars sur un beige, en veillant néanmoins à retenir un beige plus riche que celui des manches et créant un camaieu avec le fauve des bottes. On aurait aussi pu partir sur un bordeau profond, qui aurait néanmoins eu peut-être le défaut d'être contradictoire avec la simplicité du soldat ...
  • Je ne prévois pas de fantaisie de couleurs pour les carreaux du sol car je ne souhaite pas que cela détourne l'attention ; je me concentrerai sur les effets d'ombre, sur une élégant carroyage de marbre noir et blanc.
    Quelques idées s'imposent rapidement pour ce qui concerne les motifs :
  • Des carreaux sur la moitié du costume du ménestrel,
  • Je prévois un motif pour "animer" le dossier de la chaise, un peu massif ; pour la même raison, je prévois de représenter les planches de bois qui la constitue,
  • Rapidement, l'idée de rappeler ce motif sur le plastron du soldat me semble intéressante ; Saint-Jacques de Compostelle me semble une belle évocation,
  • J'hésite à faire le malin avec un damasquinage du casque. Internet en fournit de très beaux exemples. Mais là encore, j'ai craint une incohérence avec la simplicité du soldat ... Si j'arrive à faire un beau casque métallique (sans peinture métallisée bien sûr) bien en relief, ce sera déjà bien.
La préparation est classique sur cette pièce massive et présentant peu de fragilités : ébarbage du tour, un léger regravage des cordes du luth et du pied du verre renversé sur le carrelage. Les quelques petits trous de coulage sont faciles à corriger : trop petits pour un quelconque putty, ils sont comblés au pigment d'humbrol (fond du pot), augmenté de talc pour donner un peu de matière.

    La sous-couche est réalisée en blanc mat humbrol au pinceau. Je sais que certains utilisent l'acrylique en bombe ; je pense que c'est une "mauvaise" idée pour au moins trois raisons dont chacune est suffisante seule :
  • l'acrylique sèche moins souple que l'humbrol ; sur un plat, qui risque toujours de très légèrement se tordre pendant la peinture, la couche risque de se décoller (cela m'est arrivé sur mes "4 saisons", crise de nerf assurée),
  • le pinceau plutôt que la bombe qui risque d'empâter les détails ; à l'humbrol, on maîtrise parfaitement l'épaisseur de la peinture ; l’aérographe serait une option, mais je ne l’utilise guère qu’avec des acryliques, pour éviter de l’obturer prématurément,
  • peindre la couche de fond est une occasion de plus d'observer et de comprendre la pièce ; à la bombe ou à l’aérographe, on s'occupe surtout de contrôler le flux ...
Pour cette fois, je travaille sur fond noir sans intention particulière ; j'avais un carton prêt à la bonne dimension ... La lumière vient de la gauche, à 10h et légèrement en avant du plan de la composition, comme d'habitude.

Je commence la « mise en teintes » en posant les grandes zones de couleurs (je travaille plutôt comme Vermeer que comme Serge Franzoïa …). Ce ne sont pas des aplats, néanmoins. Je peins avec une peinture très tirée faisant ressortir par transparence la sous couche blanche sur les zones de lumières, qui peuvent d’ores et déjà être éclaircies au blanc (ou jaune pour le rouge, et Naples Yellow Deep pour le bois). La jambe mauve du ménestrel par exemple, n’est déjà pas d’un mauve uniforme : je repréciserai la peinture ensuite, mais je commence dès la première couche à donner les grandes lignes en matière de lumière ; le relief peut déjà commencer à s’imposer.
J'ai besoin en effet de visualiser la pièce avec ses grandes zones de couleur, pour jauger si cela s'harmonise bien, d'où ce phasage et ce zoom progressif.
En fin de chaque séance, on peut donner un léger coup de pinceau-brosse pour achever de lisser et de fondre les teintes. Cela crée un léger flou, mais qui sera corrigé lors des phases ultérieures, plus précises.
Le problème de cette méthode est que les phases intermédiaires sont assez grossières, pour ne pas dire moches. Cela peut inciter à abandonner. Il faut, au contraire, prendre ces intermédiaires comme des couches de base améliorées et travailler dessus, de plus en plus « à la Franzoia ». Quand vous aurez fini, vous aurez … une très belle couche de fond dirait l’ami Freddy, sur laquelle vous pourrez retourner à l’ouvrage pour porter d’ultimes améliorations (rehauts, ombrages généraux et ombres portées …). Nous verrons que c’est exactement ce qui s’est passé avec « Le ménestrel ».

Quelques zones et matières ne sont encore qu'ébauchées, les ombres projetées ne sont pas en place.
Mais plusieurs éléments commencent à prendre tournure.
La coquille sur la poitrine du soldat doit aussi en effet être "emphasized", soulignée et mise un peu plus en volume. Elle trouvera son pendant sur le dossier de la chaise que je ne veux pas laisser tout nu.
Le bleu est le bleu foncé Old Holland, plus riche qu'un indigo et très agréable à travailler.

Le bois est une question difficile pour moi. Il faut en effet que je trouve encore le ton juste. J'hésite toujours à y imprimer des éclaircies franches : j'ai souvent tort. Ce sont ces zones qui donnent l'éclat du vernis et permettent d'assombrir le reste pour arriver à un bois riche. J’ai eu une remarque très juste sur la richesse à rechercher pour ce bois verni ; de fait, il est très différent de traiter un bois brut, soumis aux éléments, qui tire toujours vers le gris, et un bois de meuble, aux teintes plus chaudes et surtout aux reflets aussi francs que ceux d’un métal.

Concernant le damier du ménestrel, on m’a signalé qu’ils étaient petits. Quand on prend exemple de quelques illustrations, on pourrait de fait les imaginer plus grands et en forme de losange étirés verticalement. C'est pas faux, mais :
1- je voulais que leur trame soit visible aussi à l'échelle du chapeau et des triangles du col,
2- J'ai voulu faire mon malin en montrant que je pouvais faire de très petits carreaux !

L'Histoire ... Ma foi, j'y prends l'essentiel parce que, le plus souvent, on n'arrive pas à imaginer mieux. Mais, à part ça, elle passe après ce que je veux essayer d'exprimer, surtout pour de tels sujets libres.

Je poursuis avec les ombrages, et chaque élément pris un à un. J'ai des soucis avec les chaussures du ménestrel (j'ai un problème qui doit être d'ordre psychanalytique avec les chaussures : toujours tendance à les négliger ...) ; je voudrais un rouge profond, et, par ailleurs leur gravure un peu grossière (le sculpteur aurait-il le même problème ??) ne m'aide pas … J’ai eu le tort de ne pas le voir lors de la préparation, alors que les regraver n’aurait sans doute pas été insurmontable.
Je commence à préparer les verres et la bouteille.

Ça se précise doucement :
- ombrages sur le sol,
- quelques ombres projetées,
- début du traitement des éléments en verre ...

A noter, l'astuce citée par Mike Taylor pour ombrer du noir : on éclaircit discrètement le noir autour de l'ombre, qui devient visible (l'épée, à son contact avec le sol).

Il me reste entre autre :
- à enrichir les bois,
- à préciser le visage du soldat, un peu fade, je trouve,
- la masse de la cape me gêne ; je pense que je vais l'habiller d'un motif,
- à fignoler le tout ...

On me signale en outre :
- qu’il manque un peu d'ombrage sur l'épaule gauche du soldat, et sa chevelure,
- que le visage du soldat doit être retravaillé pour supprimer l'effet "lunette" provoqué par le traitement du front,
- que son visage pourrait être enrichi d’une teinte rose "à la Cyrano",
- et, astuce suprême, que la cassure du tissu sur l'angle du coffre pourrait être marquée pour accentuer l’effet de trompe l’oeil !
Il faut décidément être en veille sur chaque zone pour traquer tout ce qui pourra suggérer la direction de l’éclairage et les ombres qu’elle crée.

Je laisse reposer deux semaines afin de pouvoir y jeter un regard neuf et de chasser impitoyablement les défauts restants : on ne voit plus rien à force d'y travailler. Le regard se fait moins affûté, plus complaisant peut-être, ou alors vaguement craintif de faire pire en voulant faire mieux.
Autre possibilité, mais surtout valable pour les peintures de tableaux : regarder la peinture à l'envers. C'est radical pour détecter toute faute de proportion ou toute ombre portée imprécise.

Au retour, le regard s’est en effet rafraîchi. Outre les ombres portées qu’on me conseille de préciser (ombre du verre à gauche du ménestrel, de la jambe gauche de ce dernier, du casque sur la chaise, de la garde de l’épée et de son baudrier sur la culotte …), j’accentue quelques ombrages, ajoute un reflet sous le verre renversé, reprécise le bleu du soldat … À l’inverse, j’accentue aussi quelques rehauts en blanc pur (blanc de titane Old Holland) ; il m’en manque toujours et je dois forcer l’audace ; il faut d’autant moins s’en priver que, sur fond sec, il est très facile d’effacer ces petites touches et de recommencer (les parties éclairées de la cape, le casque notamment à l’arrière pour rehausser la lumière réfléchie, toutes les zones du soldat exposées directement à la lumière …). Et encore un coup de rose sur le visage et quelques rides sur le front.
Pendant les vacances, j’ai en outre eu l’occasion d’observer des instruments anciens. J’ajoute du coup un décor en marqueterie noire et blanche (ivoire et ébène) sur le tour du plateau du luth. Une fois terminé, je me demande comment j’ai pu me satisfaire de son absence ...

L’encadrement est simple : du doré lasuré de bleu pour enrichir l’ensemble et un passe-partout bleu de Delft pour rester dans le ton (dans ce cas précis, le blanc cassé standard aurait été fade).

Médaille d’or à Folkestone lors de l’Euromilitaire 2015.
Je dédis ce succès à tous les camarades du Forum de la Figurine. Leurs suggestions auront sans nul doute faits la différence entre une belle figurine et une médaille d’or dans un concours aussi exigeant.