Andreas Reiner : un style reconnaissable entre tous, pour des pièces d'une luminosité unique
Je profite d'une série de photos que m'a adressé Andreas Reiner pour compléter la page qui lui est consacrée. Il est intéressant de voir comment il creuse le sillon de son style, largement stabilisé, mais toujours créatif pour aborder les défis propres à chaque pièce.Je note au passage qu'il continue à aborder tous les thèmes et toutes les époques avec la même réussite, accentuant encore la clarté de sa peinture et faisant naître, par la magie de l'éclairage, une luminosité littéralement extraordinaire. Dans le domaine de la peinture de plats d’étain, il y a Andreas Reiner, et il y a les autres.
J’ai eu la chance de le rencontrer (trop brièvement !) lors de l’édition 2019 de la bourse de Kulmbach. Il a bien voulu répondre à quelques questions qui, je l’espère, pourront nous dévoiler un peu de son style unique. Andreas Reiner, d’où venez-vous (en admettant que votre peinture ne vient pas d’une autre planète) ?
(AR)- Je vis en Autriche près de Vienne, à Eisenstadt. J’ai 53 ans et je peins des figurines depuis presque 40 ans. Et où vont vos préférences ?
- Mes pièces favorites sont les plats de 30mm : il y tant de détails sur ces petites figurines. Selon vous, d’où vient votre façon si particulière de peindre ? - Ma manière de peindre est la conclusion de ce que j’ai vu et appris d’autres peintres. La seule différence est que j’essaye d’utiliser des couleurs plus claires. Certes, cette particularité est effectivement ce qui saute aux yeux, mais encore … ?
- Parfois, j’élimine certains détails, car il est plus facile de les peindre à la main (« freehand ») : souvent, la gravure n’est pas si formidable ! Puis j’utilise un primer en bombe ; après, le plaisir commence. Pour la direction de la lumière, je choisis toujours la même direction que celle vers laquelle la figurine regarde. En effet, le plaisir commence... - Je commence toujours par le visage parce que c’est la partie la plus importante de la figurine. C’est ce qui lui donne vie !
J’applique une sous-couche à certaines parties de la figurine, par exemple le visage, les vêtements et d’autres petits détails, à l’acrylique dans la couleur la plus claire ; puis je les ombre à l’huile en plusieurs couches. Entre elles, je laisse les couleurs sécher sous la chaleur d’une lampe de bureau. Une forme de glacis en 30mm donc... - Pour d’autres parties de la figurine, je peins seulement à l’huile directement sur la sous-couche blanche. Je commence par les ombres et peins également en plusieurs couches. C’est le blanc de cette sous-couche que j’utilise pour ménager les points de haute lumière (highlight).
J’utilise cette technique pour les chevaux et les vêtements clairs. On comprend mieux d’où émane cette lumière propre à vos créations
J’essaye toujours de couvrir de couleur l’intégralité de la figurine pour estimer l’harmonie des couleurs. J’aime aussi peindre les détails, mais je préfère moins que plus. Ce qui est important, c’est l’harmonie et l’impression générale qui se dégage de la figurine.
J’apprécie alors de faire un break, de ne pas regarder la figurine pendant quelque temps, … puis de la montrer à ma femme.
Je ne peins que des figurines isolées et, pour un cavalier, j’ai besoin d’environ 25 heures de travail. Pour finir, je voudrais remercier mon épouse qui supporte mon travail, mon père qui m’a tant appris sur le modélisme et tous les graveurs et les peintres qui m’ont inspiré. Merci Andreas pour cette leçon.
Moins de détails pour accorder toute son importance à l’impression générale : c’est en effet un conseil très judicieux, que je prends particulièrement pour moi. Lorsque je lui ai dit, en le quittant, qu’il était, au-delà de Kulmbach où il y a eu pourtant de fort belles pièces cette année-là, le meilleur peintre de la planète, il a dénié ce titre en riant.
Bon d’accord, lui ai-je alors dit pour ne pas froisser sa modestie : « disons alors que vous êtes le meilleur peintre du reste de l’univers... ».
Il démontre une fois de plus que la peinture de plats, pour académique qu’elle puisse paraître, offre de la place à des styles extrêmement différents. On retrouve notamment des peintures d’Andreas Reiner sur les stands de Detlef Belaschk pour lequel il a peint plusieurs de ces modèles d’exposition. Il est temps de regarder quelques créations d’Andreas Reiner.
Je vous propose quatre courtes galeries :
- une galerie de cavaliers « ottomans »,
- des chevaliers,
- une série de pièces de grande taille extraites du catalogue de Detlef Belaschk,
- trois autres pièces de grande taille.
Cette première série de cavalier me laisse dans une forme de sidération. Elles bouleversent totalement ce qu’on a l’habitude de voir dans le domaine du plat. Et encore, ce ne sont que des photos : saisissez toutes les occasions de les voir en vrai ; l’expérience est encore plus marquante. L’intérêt de la photo est de permettre, peut-être, d’en saisir mieux le mystère. C’est le seul peintre que je connaisse (à part peut-être Greg Di Franco) dont on peut agrandir à volonté l’image. L’impression reste la même, sans doute parce que Andreas Reiner, comme il le dit, privilégie l’impression (et donc l’harmonie des couleurs et des contrastes) plutôt que de s’appesantir sur les détails.
« Appesantir » : le secret est sans doute dans ce mot. S’acharner sur les détails, par une obstination que je connais bien car c’est ma façon de peindre, c’est fatalement alourdir la figurine ; on y manquera toujours de subtilité, à force, de vouloir forcer le regard au lieu de lui suggérer seulement la lumière. On aurait tort cependant de croire qu’il n’y a pas de détail : ils y sont tous, voire plus ! Observer les stries qui animent la matière des sabots… Qui d’autre fait ça, alors que par ailleurs on s’obstinerait à ombrer chaque bouton de l’effet de la sacro-sainte « lumière zénithale » ?? Pas d’affectation ici, ni d’ombrage excessif. Plutôt que d’obscurcir les plans cachés, Andreas Reiner accentue l’éclairage de ceux qui prennent la lumière, avec une divine compréhension de délicates ombres portées qui finissent d’emporter le regard dans l’illusion.
Les plats « animaliers » sont moins ma tasse de thé en tant que sujet de peinture, mais la capacité à exprimer le potentiel de grandes figurines qui peuvent paraître un peu lourde a priori est étonnante. La perdrix est notamment époustouflante de vie.
Le talent du peintre s’associe ici à celui de découvreur de Detlef. Mais d’où viennent ces inspirations presque malaisantes (les « halequins enchevêtrés !) à force d’originalité. Et quelle réalisation, instantanément indépassable de justesse, de finesse et de délire visuel. La juste mesure des ombrages, dans les pièces où la couleur n’est que suggérée, est absolument sans concession aux canons ordinaires de la peinture sur plats. Elle enterre définitivement la fausse croyance qu’il n’y a qu’une seule façon de bien les peindre ; mais celle-là est d’une personnalité unique.
Elle est la parfaite illustration de la notion toute relative "d'absence de détail". Observez le harnachement, les anneaux, les zones claires qui épousent les reliefs du cheval, les tachelures qui animent sa robe ; ou encore l'expression du visage, baigné de lumière.
Et le tout, rappelons-le, en 30mm !