Abbaye aux Dames de Caen : aux sources d'une oeuvre
Suite à ma découverte du magnifique tryptique réalisé il y a 31 ans dans le cadre des festivités liées au 900ième anniversaire de la mort de Guillaume de Conquérant à Caen, je n'allais certainement pas en rester là. J'avais le nom des créateurs, la référence explicite à la tapisserie de Bayeux, ... et internet. Je faisais le pari que lorsqu'on a côtoyé une telle région et une telle histoire, on y reste toujours un peu ...J'ai ainsi pu retrouver Alain Letort, qui m'a fait un accueil des plus sympathiques et a bien voulu répondre à quelques questions. Alain Letort : "Trente et un an déjà ... Neuf cent trente et un... en rêve ! 1987, on commémore dans notre Normandie l'anniversaire de la mort de Guillaume le Conquérant... Quelques temps avant cette date, on se prépare à l'événement, les projets fleurissent..."
"Pourquoi et comment cela s'est-il décidé ? Je ne m'en souviens pas ...
Enfin, ce fut dit : nous allions ériger une oeuvre monumentale en mémoire du Grand Homme mais à échelle réduite, bien sûr (nous sommes amis du paradoxe !)... Je découvre le début de l'histoire sans être tout à fait surpris : on ne crée pas une telle oeuvre sans une passion créatrice débridée. A.L. "L'art roman nous appelle... Brainstorming : d'impasses en fausses pistes, nos divagations vont nous mener inévitablement au plat d'étain !
Seule, à nos yeux, la noblesse de cette technique (il faut savoir de Qui on parle, là) nous permettrait d'avoir une vision qui soit au plus proche des représentations de l'époque... (n'avons-nous pas chez nous l'exemplaire Tapisserie de Bayeux ?!).
Le principe du triptyque viendra plus tard quand nous déciderons d'abandonner le Roi pour la Reine en évoquant la dédicace de l'Abbaye aux dames en 1066... Je me permets une digression concernant le musée de la tapisserie : je vais faire court. Il FAUT le visiter. Si ce n'est pas déjà fait, trouvez n'importe quel prétexte. Non seulement la tapisserie (une sublime broderie en fait) est magnifique, émouvante de beauté avant même d'être un témoignage historique hors norme. Mais la muséographie qui l'entoure est en elle-même extraordinaire : l'ambiance, feutrée ; les cartels ; les accompagnements audio ... Je ressens toujours l'émotion ressentie lors de ma visite, il y a pourtant bien des années. A.L. "Mais le "comment" du Plat d'étain, alors ? Je dois dire que notre ignorance de la chose est à ce moment profonde...
Dans les années 80, les informations sont rares en bibliothèque et les quelques artisans-créateurs que nous allons rencontrer se montreront plus que réticents à partager leur savoir ...
Mais nous sommes enthousiastes et obstinés. De fil en aiguille, nous remonterons la piste et déposerons notre projet qui sera défendu par Chantal Rivière, Maire-adjointe à la culture de Caen... Elle fera en sorte que le financement de celui-ci soit partagé par le Conseil Régional.
Avec l'aide d'une professeur d'allemand et de son fils (notre interprête sur les lieux), tous deux originaires de ces contrées dont nous ne parlons pas la langue, nous nous mettons en quête de la pierre philosophale : la fameuse ardoise de Thuringe...
Depuis la frontière de la RDA, nous rapporterons des blocs de shiste très durs mais (hélas) riches en pyrite de fer (25x10x3 cm) achetés à un exploitant de carrière faricant de lauzes de grandes dimensions ...
Après, ce seront les outils : moteur suspendu avec flexible et mandrin, fraiseuses rachetées à un dentiste, gouges et limes ... Les ardoises seront chauffées au four de la gazinière du ménage et l'étain fondu sur ses feux..." On retrouve bien là la magie de la fabrication artisanale des plats, mais poussées à ses extrémités. On remarquera que les moules sont gravés des deux côtés, ce qui constitue, en l'espèce, un niveau de perfectionnisme incroyable. Le peu d'aide reçu a de quoi surprendre : finalement, et sans doute aussi grâce à internet, nos deux artistes auraient sans doute eu plus de facilité à notre époque. Comme quoi, le plat d'étain ne se porte pas si mal. A.L. "Les figurines, préalablement nettoyées au trichloréthylène et revêtues d'un voile de peinture d'apprêt pour carosserie, seront peintes à l'huile (Rembrandt). Après quelques exemplaires de présentation, nous abandonnerons le socle traditionnel pour une patte qui sera fichée dans le plan incliné du support." L'ensemble sera présenté à la mairie de Caen et recevra la royale visite du Prince Charles et de Lady Diana. Puis il rejoindra l'Abbaye aux Dames. Il me reste à remercier chaleureusement Alain Letort d'avoir partagé ses souvenirs sur une oeuvre unique, mettant en évidence de belle manière que le plat d'étain peut être beaucoup plus que l'art d'interprétation que nous lui connaissons désormais presque exclusivement : il peut être un mode d'expression à part entière, et avec quelle joyeuse folie ! Retour sur les photos (on ne s'en lasse pas) :
Pour en savoir plus sur le travail de Luc Marie, c'est par ici