Modeler la couleur

Pour donner le plein effet à une peinture de plat, il faut avoir deux loupes en tête :

  • la première recherche l'effet "lointain" de la grisaille et du trompe l'oeil (voir l'atelier "spécificité") : elle veille à mettre en évidence l'éclairagea général de la pièce et surtout le sens de la lumière (en général, et sauf source de lumière spécifique à la scène, éclairage à 10h50 lumière légèrement en avant du plan de la figurine, plus un éclairage zénithal d’ensemble simulant la lumière qui vient d’un soleil surplombant le personnage) ; c’est aussi cet éclairage qui donnera les ombres portées. On obtient une belle figurine « vue de loin »,
  • l’autre traduit cet éclairage zone par zone jusqu’au plus infime détail ; on peut s’aider en recherchant, élément par élément, à mettre en évidence des volumes élémentaires (cylindres pour les bras, tronc de cône pour le corps …) ; c’est ce travail qui va faire que plus l’œil s’approche, plus il découvre les détails mis en valeur.
L'image ci-contre est un trompe l'oeil photographié au musée de Berlin ; notez comme le peintre a suggéré la profondeur seulement par des nuances de gris et, pour les ombres les plus profondes, des ruptures noires plus affirmées. L'illusion est parfaite.

Comme nous ne pouvons pas nous permettre d'empâter la peinture par une succession de couches, il faut toujours être parmonieux : chaque dépôt de peinture doit viser d'être décisif, lissé, et doit préserver la sous-couche autant que possible. De ce point de vue, l'exercice s'approche des techniques de l'aquarelle et de sa préservation du blanc. Il est tentant de recouvrir toute une zone par sa couleur de base parce qu'on a l'impression que le travail avance ; en fait, on se condamne en fait à être gêné ensuite : moyennement en général pour foncer la teinte, mais beaucoup pour l'éclaicir. Au bilan, le plus grand risque de cette précipitation est d'obtenir un contraste trop peu marqué.
Dès les premiers coups de pinceau, il faut donc commencer à modeler les formes par la peinture. En général, nous disposons sur notre palette de trois valeurs pour notre teinte chacune d'elle pouvant déjà être le résultat de mélanges, d'assombrissement ou d'éclaircissement des teintes "sorties de tube", voir à ce sujet l'atelier " La palette de couleurs") :

  • la couleur de base,
  • sa version foncée,
  • sa version claire.
  • L'intérêt de l'huile est de pouvoir fondre ces valeurs pour créer une gamme continue de valeurs. Et, à chaque extrémité de ce spectre, on ajoute la valeur très foncée d'une part (presque jusqu'au noir, avec, par exemple, l'indigo pour assombrir radicalement le rouge foncé) et d'autre part la version très claire jusqu'au blanc.

    Prenons l'exemple d'un bras, vu comme un cylindre :

    • on pose une bande couleur de base sur la partie éclairée, en veillant à ne faire qu'une très fine couche sur la zone qui recevra l'éclat de lumière le plus vif, où l'on pose la version claire ou éclaircissante (blanc, jaune de naple ...). A ce propos, on évitera de tenter d'alléger la peinture en apportant du diluant : on ne parviendra pas à maîtriser ce qu'on aura apporté de liquide. Localement, cela détruit la cohésion de la peinture et cela ruine surtout la capacité d'en fondre les bords avec les valeurs adjacentes. Le lavis sera utilisé ultérieurement, mais sur base sèche.
    • Une ligne importante pour marquer les plans
      En limite inférieure de la partie foncée, juste avant le trait "noir" qui marque le bord du bras et le début de son ombre portée, une étroite zone claire ; elle permet de faire ressortir le volume de son fond et contribue grandement à sa lisibilité.
      Cette ligne doit être super fine et super bien fondue. Elle suit surtout très exactement les formes détaillée de la partie arrière de chaque zone ainsi éclairée, sinon cela devient une espèce de ligne lourde qui peut même créer des fausses interprétations de l'anatomie (notamment sur les parties nues). Elle est essentielle à une finition parfaite du plat car elle permet très concrètement de souligner toutes les formes. Observez la présence de ce reflet sur la plupart des tableaux : il contribue de façon essentielle à l'effet de volume. On peut lui trouver plusieurs justifications physiques :
      - elle représente le reflet de la lumière sur l'immédiat arrière plan ;
      - ou l'éclairage complexe depuis la source de lumière située légèrement en avant du plan de la figurine (elle apparaît quand on écarte la lumière de ce plan).
      Ce n'est pas faux ; mais l’exagération que nous lui donnons est avant tout un choix esthétique qui facilite la lisibilité de la figurine. Je vous invite à l'observer dans quasiment tous les tableaux figuratifs depuis le XVIIième jusqu'au XIXième, afin de bien mesurer son utilité.
      Un atelier particulier traitera de cette question, qui est d'ailleurs assez révélatrice de ce qu'est fondamentalement la peinture de plat, tout comme celle de tableau.
    • on pose une bande foncée dans la partie située à l'ombre, en réservant une petite ligne à l'arrière, qui sera laissée dans la teinte claire. Cette ligne mérite une explication et nous y reviendrons dans d'autres ateliers ; voir l'encadré ci-contre pour une première approche.
    • On fond bien tout ça : on soutient un peu la couleur de l'extrémité claire pour marquer le retour du cylindre ; on éclaircit encore la partie éclairée ; on fond la transition vers l'ombre ; on affirme la ligne claire derrière l'ombre.
    • Pour clore ses séances de peinture, Louis Bécavin passait un léger coup de fine brosse (j'utilise des petites tailles de brosses en poil sythétiques souples, peu coûteux et vraiment très doux). Certes, cela risque de remélanger les couleurs à la marge, surtout si vous avez peint en couches trop épaisses ; mais, de fait, cela lisse bien la peinture et contribue à achever les fondus.
    • Un trait très sombre (j'utilise de plus en plus le noir, radical) délimite le plis inférieur. Sans largeur néanmoins : l'élément situé sous/derrière lui aura sa propre couleur version foncée de sa propre couleur de base ; ce trait de marquage ne doit pas être confondu avec l'ombre portée, qui sera traitée ultérieurement, dans le sec.
    • Et on arrête pour l'instant !
    • En effet, même si on exploite la lenteur de séchage de l'huile qui permet de longues séances, parfois sur plusieurs jours, nous allons reprendre la peinture en plusieurs temps :
      • parce que tant qu'on est dans le frais, la peinture ne se matifie pas : ses reflets vous empêchent d'avoir une vision certaine du résultat. Bien entendu, cela suppose des séances assez soutenues pour ne pas laisser sécher une zone avant d'être raisonnablement satisfait du fondu car ce qu'on ajoute après séchage constitue une couche supplémentaire,
      • il est toujours nécessaire d'y revenir parce que ce n'est pas parfait (sauf Serges Franzoïa, qui peint excellemment et de façon millimétrique sans avoir besoin de reprendre son travail, mais ça c'est une autre histoire ...),
      • et qu'en vous obstinant, vous risquez surtout d'empâter le tout et de rendre le fini incontrôlable (le lissé de la peinture est indispensable au rendu final, par exemple pour avoir un beau blanc),
      • parce que c’est plutôt bon pour le moral, car, en général, la matification qui intervient à l’issue du s échage améliore plutôt le résultat ...
      • Après quelques jours de séchage, on y retourne donc. Et ainsi de suite jusqu'à être satisfait du résultat (ou d'en avoir marre, ou d'avoir atteint la date limite du challenge, de l'exposition, du concours etc ...).
        On en profite pour bien marquer les ombres franches. Lors des derniers passages, on pourra les lier aux arrières plans avec des quasi-jus en formes de glacis qui pourront ajouter à la profondeur. Une couleur générique m'est très utile pour les ombrages intermédiaires : le raw umber. Relativement transparent, il permet un ombrage neutre qui casse en outre les couleurs. Il n'est pas suffisant pour les ombres profondes (d'autant qu'il a facilement un côté un peu granuleux), mais il permet une très bonne transition.
        Symétriquement, on met en évidence les zones claires ou les reflets avec des rehauts de couleurs claires/vives, de jaune de Naple ou de blanc.

        Vous pensiez avoir fini ?
        Que nenni.On y retourne, encore et encore.
        En revoyant votre série, ou du simple fait que vous aurez peut-être varié dans vos intentions (et votre talent ?) depuis le début du travail, vous aurez sans doute encore envie de reprendre, d'harmoniser. On pourrait presque ne jamais en finir.
        La lassitude peut être salvatrice ; à un moment, il faut savoir poser les pinceaux, mettre la pièce en expo et viser de s'améliorer ... lors de la prochaine.
        Il ne faut d'ailleurs pas trop compter sur cette phase de "relecture" pour améliorer radicalement une peinture : repeindre dans le sec fait partie intégrante du travail de plat, mais ne permet pas de corriger radicalement une teinte. Au contraire, en perdant en transparence, on risque d'alourdir la couleur et de perdre cet effet de lumière intérieure qui émane d'un plat réussi.
        Par contre, ce peut-être l'occasion de travailler le contraste (les clairs, les obscurs, la valeur relative des teintes).
        Peut-être éprouverez vous à l'occasion cette sensation très troublante lorsqu'un trompe l’œil est vraiment réussi : bien que conscient que ce n'est qu'un effet d'optique (c'est vous qui l'avez fait !) vous pouvez avoir l'impression que votre pinceau s'enfonce vraiment dans l'ombre qu'il dessine. A l'image du peintre chinois dont Marguerite Yourcenar raconte la fuite dans le paysage qu’il vient de dessiner, vous dépassez alors le statut d'artiste pour devenir un vrai démiurge, ce dont nous rêvons tous secrètement, je pense.