Une ligne claire inattendue ?

Nous avions quitté l'atelier "précision de la peinture" avec une suggestion qui peut paraître paradoxale : nous pouvons mettre en lumière la partie arrière, de la manche blanche sur le fond foncé que nous imaginions.
Comment cela, disions-nous, "mettre en lumière" ? Elle est à l'arrière ! Et, de plus, le cylindre qu'elle forme s'enfonce vers l'ombre ... Qu'y aurait-il à mettre en lumière ?
On n'a pas tort de s'étonner : l'observation rapide de beaucoup de portraits ne dément pas la surprise. Mais on peut aussi observer le tableau ci-contre de Napoléon par Ingres et tout particulièrement la manche située à droite : une légère éclaircie la sort de l'ombre, en mettant le contour en évidence et contribuant au relief de l'ensemble par rapport au fond sombre. Cela apparait encore mieux quand on assombrit l'image ; cette ligne persiste à sortir de l'ombre, et avec elle tout le contour de la manche, qui reste bien perceptible.

Rien n'impose donc cette ligne. De très beaux portraits ont fait le choix d'un clair-obscur profond ; et certaines gravures l'autorisent parfaitement. Souvent, pourtant, elle peut nous être utile, dans notre exercice particulier, pour garder accès à des détails dont il est dommage de se priver. Comme on l'a vu dans d'autres ateliers, chaque fraction de millimètre compte ; souligner l'arrière de notre manche nous permet d'en conserver toute l'information et nous redonne accès, à l'arrière, à une nouvelle graduation des ombres que l'on peut enrichir. A défaut, nous devrions élargir une large zone de noir absolu qui peut être gênante à l'oeil car malgré tout la gravure restera visible, mais éteinte.
J'en recommande donc a priori l'usage, ou en tout cas l'essai, sans exclure que l'expression de chacun peut préférer une ombre plus envahissante. Une fois qu'on a décidé de la faire, il ne faut cependant pas la réaliser n'importe comment.

Dans une version sombre de la couleur de base, on ébauche ou on revient sur une ligne un peu claire en limite inférieure de la partie ombrée, juste avant le trait "noir" qui achève notre manche. Par souci d'économie dans les couches de peinture, le mieux est de l'ébaucher dès que l'on pose les premières teintes (voir l'atelier "modeler les couleurs").
Cette zone doit être super fine et super bien fondue avec le reste de la manche (et au contraire très tranchée avec l'arrière. Elle suit surtout très exactement les formes détaillées de la partie arrière de chaque zone ainsi éclairée. La difficulté à notre échelle est de la faire suffisamment fine et fondue ; il ne s'agit pas d'en faire une espèce de ligne lourde, raide qui viendrait créer des fausses interprétations de l'anatomie (notamment sur les parties nues). Comme toujours, l'obsession de réaliser cette ligne ne doit pas céder le pas à la claire compréhension de la forme que nous mettons en évidence.
Observez surtout comment elle contribue à l'effet de volume de votre peinture.

On peut trouver plusieurs justifications physiques à cette ligne :
  • elle représente le reflet de la lumière depuis l'immédiat arrière plan en retour sur la manche,
  • elle apparait quand on éloigne la lumière incidente du plan de la figurine, ce qui accentue le relief de la pièce,
  • elle correspond à l'éclairage d'une lumière secondaire qui vient "déboucher" les ombres pour utiliser le jargon des photographes ...
Tout cela n'est pas faux ; mais c'est peut-être aussi avant tout un choix esthétique efficace.

A y regarder de près, les maîtres du clair-obscur n'agissent pas autrement :
  • En peinture, le Caravage, par exemple, met en scène des éclairages impossibles : pour obtenir ses effets dramatiques, il faut bien plus d'une lumière unique éclairant depuis la gauche du tableau,
  • En photo, les studios Harcourt utilisent plusieurs sources de lumière sophistiquées pour obtenir leurs célèbres portraits.

Cette petite ligne est finalement assez révélatrice de ce qu'est fondamentalement la peinture de plat, tout comme celle de tableau, et plus généralement de ce qui constitue le choix en matière d'expression artistique.

Comme dernier exemple, je termine par ce que peut donner le traitement des lumières d'un portrait (en l'occurrence en post-production) : la remise en évidence de lignes a priori noyées dans l'ombre permet d'enrichir l'effet obtenu (je précise que ces photos ne sont pas libres de droit, pour ceux à qui viendrait l'idée saugrenue de faire de Mélisa, que je remercie au passage, une pin-up en résine ...).